samedi 1 décembre 2018

BEATRIZ GUTIÉRREZ MÜLLER, L’ANTI-PREMIÈRE DAME DU MEXIQUE

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ANDRÉS MANUEL LÓPEZ OBRADOR ET SON ÉPOUSE, 
 LE 1ER JUILLET APRÈS L’ANNONCE DES RÉSULTATS 
 DE LA PRÉSIDENTIELLE, À MEXICO. 
 PHOTO PEDRO PARDO / AFP
L’investiture présidentielle de son mari, le 1er décembre, marque un virage à gauche inédit depuis trois décennies au Mexique. A l’instar d’Andrés Manuel López Obrador, élu cinq mois plus tôt, son épouse, Beatriz Gutiérrez Müller, prend les traditions politiques à contre-pied dans un pays inégalitaire, machiste et conservateur. Cette discrète écrivaine et journaliste de 49 ans refuse d’être première dame. « C’est une fonction élitiste qui sous-entend qu’il y a des femmes de premier et d’autres rangs », a déclaré Mme Gutiérrez. La discrète féministe compte néanmoins jouer son rôle dans la « profonde transformation du Mexique », promise par son époux, surnommé « AMLO » (ses initiales). Cette docteure en littérature l’assure : « Nous devons commencer à penser et à agir de manière différente. Il faut en finir avec l’idée de première dame. »
AMLO ET BEATRIZ GUTIÉRREZ MÜLLER
PHOTO ELLE.MX
Cet été, la plus diplômée des épouses de présidents mexicains n’était pas présente lors de la cérémonie officialisant la victoire triomphale d’AMLO (53 % des suffrages) lors du scrutin du 1er juillet. Elle a aussi refusé de prendre la direction du Système national pour le développement intégral de la famille (DIF), qui revient traditionnellement aux premières dames. « Les temps ont changé », a justifié, le 19 novembre, AMLO en nommant son épouse à la tête d’une nouvelle Coordination nationale de la mémoire historique et culturelle du Mexique, chargée de mieux préserver le patrimoine mexicain. Une activité non rémunérée. Beatriz Gutiérrez Müller prévoit « de continuer d’écrire, d’enseigner et de prendre soin de [s] a famille ».
« Rien n’impose que l’épouse d’un président soit son ombre complaisante. »
PHOTO ELLE.MX
Cette professeure de rhétorique et de linguistique à l’Université autonome Benemérita de Puebla, à 130 km de Mexico, aime sortir des sentiers battus. Celle qui se fait appeler par son prénom prend volontiers le volant pour conduire AMLO à certains événements. « Rien n’impose que l’épouse d’un président soit son ombre complaisante », expliquait-elle, fin mai, sur la scène d’un meeting de campagne aux côtés de son mari, de seize ans son aîné. Dans la foulée, elle martelait qu’elle n’avait « aucun intérêt électoral », avant d’appeler les femmes à revendiquer leur place dans une société minée par la violence des cartels de la drogue.

Beatriz Gutiérrez, Bety pour les intimes, a soutenu AMLO jusqu’à sa victoire. Ce jour-là, elle postait sur Facebook le clip du titre qu’elle a composé, Hoy despierto (« aujourd’hui je me réveille »), interprété en duo avec le musicien José Portilla. « Cette chanson est dédiée à tous les défenseurs de la démocratie au Mexique qui sont morts sans voir notre rêve se réaliser », a-t-elle écrit pour accompagner cette vidéo mêlant des images d’archives sur les luttes sociales mexicaines et celles de la campagne de son époux, qui a promis de lutter contre la corruption, l’insécurité et la pauvreté.

Décorée de l’ordre du Mérite de l’Académie Morista du Costa Rica

Beatriz avait déjà chanté pour lui dans un documentaire sur le candidat diffusé avant le scrutin. Les paroles d’El Necio (« l’entêté »), du compositeur cubain, Silvio Rodríguez, étaient devenues un des hymnes électoraux d’AMLO. Le titre va comme un gant à l’infatigable opposant, candidat malheureux aux deux précédents scrutins (2006 et 2012). « La troisième sera la bonne ! », répétait-il face à des électeurs qui ont rejeté en masse le système politique corrompu du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), qui a gouverné le pays sans partage de 1929 à 2000 puis de 2012 à 2018. Le nouveau chef de l’État a fait de la lutte contre les privilèges des puissants son cheval de bataille. « Le pouvoir ne peut pas reposer sur une famille ou sur un couple », répète Beatriz. L’attaque vise le président sortant, Enrique Peña Nieto, qui forme avec l’actrice de telenovela Angélica Rivera un couple glamour dont l’image a été entachée par le scandale de la « Casa blanca », une luxueuse maison acquise à Mexico dans des conditions douteuses.
PHOTO  NOTIMEX
Beatriz Gutiérrez Müller, ici le 1er septembre lors des célébrations des 500 ans de Vera Cruz, est sensible à la question du patrimoine. Elle prendra la tête de la nouvelle Coordination nationale de la mémoire historique et culturelle.

« Bety est une femme intelligente, prudente et sereine à la fois », a confié à la presse le journaliste Fernando Soto, un ancien collègue. Née à Mexico en 1969, Beatriz a été, dix ans durant, journaliste politique pour le quotidien El Universal. Cette fille d’un dirigeant d’entreprise et d’une Chilienne d’origine allemande rejoint, en 2001, la direction de la communication de la mairie de Mexico. A l’époque, AMLO est l’édile le plus populaire de l’histoire de la capitale, bastion de la gauche. Le couple se marie cinq ans plus tard. En 2007, Beatriz donne naissance à Jesús Ernesto. C’est le quatrième enfant d’AMLO qui a eu trois autres fils avec sa première épouse, décédée en 2003 à 46 ans.
« Je souhaite continuer d’être une compagne, présente dans les bons et les mauvais moments. Une observatrice et une personne active au bénéfice de tous. »
Fin octobre, le leader de la gauche n’a pas caché sa « fierté » sur les réseaux sociaux quand Beatriz a été décorée de l’ordre du Mérite de l’Académie Morista du Costa Rica. Auteure d’une dizaine d’ouvrages, dont un recueil de poésies et deux romans, elle partage avec son époux la passion de l’histoire mexicaine avec ses figures tutélaires, dont les anciens présidents Francisco Madero (1911-1913), considéré comme « L’apôtre de la révolution » de 1910, et Benito Juárez (1858-1862, 1867-1872), qui a séparé l’Église et l’État. « Je souhaite continuer d’être une compagne, présente dans les bons et les mauvais moments, a-t-elle souligné. Une observatrice et une personne active au bénéfice de tous. »

Une réserve dont elle n’hésite pas à sortir pour défendre ses proches. Mi-octobre, cette mère attentionnée a posté sur Twitter le hashtag ConLosNiñosNo (« PasAvecLesEnfants ») pour dénoncer le « bashing » sur le Web contre son fils de 11 ans, après la diffusion de photos de lui par la presse. Début novembre, elle a sorti à nouveau les griffes pour son époux. La « une » de l’hebdomadaire d’investigation Proceso venait de titrer : « AMLO s’isole, le fantôme d’un échec ». Le lendemain, Beatriz répliquait sur Twitter : « Il n’est même pas encore en fonctions et il serait déjà au bord de l’“échec”. Le conservatisme de gauche et de droite transpire le jugement et les conjectures fantasmatiques. »

Le directeur de la publication, engagée à gauche, Rafael Rodríguez, en a appelé au droit de la presse : « Proceso est libre face au pouvoir et à ceux qui aspirent l’exercer. » Et Beatriz de poster le hashtag AMLONoEstasSolo (« AMLO tu n’es pas seul »). Dix jours plus tard, l’écrivaine a clos la polémique à la foire du livre de l’État de Puebla : « J’exerce juste ma liberté d’expression de citoyenne. » Elle a ensuite refusé de se perdre en conjectures politiques, préférant lancer un appel personnel aux Mexicains : «Lisez, lisez, ça ne fait aucun mal. »
Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
« CANCIÓN OFICIAL DE MORENA »
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