mercredi 19 décembre 2018

BRÉSIL : JAIR BOLSONARO, PAS ENCORE EN FONCTION, DÉJÀ RATTRAPÉ PAR LES AFFAIRES


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FLAVIO BOLSONARO (ARRIÈRE-PLAN), DONT LE CHAUFFEUR
FAIT L’OBJET D’UNE ENQUÊTE, ET SON PÈRE JAIR,
LE PRÉSIDENT ÉLU DU BRÉSIL, À BRASILIA, LE 27 NOVEMBRE.
PHOTO ADRIANO MACHADO  
L’ex-homme à tout faire d’un des fils du président élu doit s’expliquer devant la justice sur des mouvements financiers « atypiques ».
Pendant près de dix jours, il fut l’un des hommes les plus recherchés du Brésil. Celui dont la parole pourrait enfin laver le futur président brésilien, Jair Bolsonaro, de tout soupçon de malversation ou, au contraire, transformer une minable affaire crapuleuse en un « Bolsogate ».

Invisible, inaudible, depuis la révélation de l’« affaire », Fabricio Queiroz, ancien chauffeur et agent de sécurité de Flavio Bolsonaro, fils du futur chef d’Etat, devrait réapparaître mercredi 19 décembre. A 14 heures, heure de Brasilia, l’ex-homme à tout faire de l’aîné des Bolsonaro, député à l’Assemblée législative de Rio de Janeiro et tout juste élu au Sénat fédéral, devra s’expliquer devant les enquêteurs au sujet de ses mouvements financiers « atypiques ».

Un rapport du Conseil de contrôle des activités financières (COAF), rendu public par le quotidien Estado de Sao Paulo, le 6 décembre, a noté que l’employé avait déposé et retiré de son compte bancaire quelque 1,2 million de reais (environ 350 000 euros à l’époque) entre janvier 2016 et janvier 2017.

Une somme « incompatible avec le patrimoine, l’activité professionnelle et la capacité financière » de M. Queiroz, souligne la COAF.

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Tactique de blanchiment d’argent
Ancien policier militaire, Fabricio Queiroz, ami de la famille Bolsonaro, dont les idées politiques sont alignées avec celles du président élu, a cessé de travailler pour Flavio Bolsonaro le 15 octobre, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle.

« C’est un modus operandi très fréquent chez les députés dits du “bas clergé” ».

A en croire les experts, sa frénésie de dépôts (176 en un an) et de retraits (56), en petits montants et en liquide, serait une tactique de blanchiment d’argent. Dans le détail, une kyrielle d’assistants parlementaires de Flavio Bolsonaro déposaient, quelques jours après le versement de leurs salaires, une somme sur le compte de M. Queiroz. Dans la foulée, celui-ci effectuait un retrait en espèces d’un montant équivalent.

« C’est un modus operandi très fréquent chez les députés dits du “bas clergé” », explique une source à Brasilia, évoquant ces parlementaires appartenant à des petits partis comme le Parti social-libéral (PSL) de Bolsonaro. Qualifiée de « péage », la tactique consiste à ponctionner une partie du salaire des assistants parlementaires afin de couvrir des dépenses inavouables. Les dits employés étant, pour la plupart, fictifs.

« Celui qui doit s’expliquer, c’est mon ancien assistant, pas moi. » Flavio Bolsonaro

De forts soupçons planent notamment sur Nathalia de Melo Queiroz, fille de M. Queiroz, embauchée par Flavio Bolsonaro tout en travaillant à la réception d’une salle de sport à une quinzaine de kilomètres de l’Assemblée de Rio.

Alliant le courage à la solidarité, le fils du futur chef d’Etat a balayé l’affaire d’un revers de la main, se défaussant sur l’ami de la famille : « Celui qui doit s’expliquer, c’est mon ancien assistant, pas moi. »

Explication tortueuse
L’escroquerie présumée ne s’arrête pas à Flavio. Au sein de ces étrangetés financières, la COAF a repéré un chèque de 24 000 reais que M. Queiroz aurait déposé sur le compte de Michelle Bolsonaro, l’épouse du leader de l’extrême droite. A en croire Jair Bolsonaro, la somme lui était en réalité destinée. Et correspondrait à une partie du remboursement d’un emprunt de 40 000 reais que le président élu aurait accordé à l’ancien chauffeur.

« J’aurais pu le mettre sur mon compte. Ça a été sur celui de ma femme parce que je n’ai pas le temps de sortir. Voilà l’histoire, rien de plus. Je ne veux rien cacher », a confié le militaire de réserve au site O Antagonista. Une explication un brin tortueuse qui omet de préciser à quoi auraient servi ces 40 000 reais.

Une popularité toujours exceptionnelle
Le dossier, embarrassant, est encore loin du scandale d’Etat. Habitués aux détournements de millions, les Brésiliens sont tentés de qualifier ce petit trafic de péché véniel. A quelques jours de son entrée en fonctions, le 1er janvier, Jair Bolsonaro jouit toujours d’une popularité exceptionnelle : selon un sondage CNI-Ibope publié le 13 décembre, 75 % des Brésiliens pensent que le président élu et son équipe vont « dans la bonne direction ». « Ce qui arrive est un peu exagéré », commente Carlos Bolsonaro, le puîné.

 Supporteurs du président élu du Brésil, Jair Bolsonaro, à Rio de Janeiro le 7 octobre 2018, durant la campagne présidentielle.
Supporteurs du président élu du Brésil, Jair Bolsonaro, à Rio de Janeiro le 7 octobre 2018, durant la campagne présidentielle. MAURO PIMENTEL / AFP
Il n’empêche. L’affaire fait désordre. Le militaire qui s’est présenté aux électeurs comme l’incarnation de la décence et de la moralité donne aujourd’hui l’image d’un filou de bas étage. Surnommé le « mythe » par ses fans, Jair Bolsonaro dévoile, avant même son arrivée au pouvoir, les travers d’un homme politique presque ordinaire au Brésil.

« Même s’il n’aboutit à rien, le scandale est éclairant. Il montre que Bolsonaro est un mythe uniquement pour ses électeurs les plus aveugles. Que le modèle d’éthique du futur président et de ses proches est, comme pour la majorité des hommes, le produit de son milieu. Et pour celui qui navigue dans le bas clergé de la politique, ce milieu est plein de “péages”, d’employés fictifs et de ruses antirépublicaines », écrit l’éditorialiste Helio Schwartsman, dans le quotidien Folha de Sao Paulo, le 18 décembre.

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Certains imaginent déjà les possibles développements de l’affaire faisant de Jair Bolsonaro une réplique de Fernando Collor : ce président, élu en 1989 en se présentant comme un « chasseur de corrompus », fut destitué deux ans plus tard après la mise au jour d’un scandale de corruption.

Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)