Santiago, 35 degrés, tout est propre. La dictature a servi les siens : 10 % de la population possède 40 % des richesses. Un taux de croissance de 6 %, des privatisations à tous crins, l’ultralibéral Mercurio du 22 décembre annonce le processus final de privatisation des compagnies de l’eau, une opération financière de grande envergure. Le même journal pinochétiste du même jour se félicite que la Bourse chilienne soit, depuis dix ans, la troisième plus grande place du monde. Pour le syndicaliste Carlos Poblete : « Ici, il ne reste que la Cordillère à privatiser, tout le reste l’a été. » Le président Piñera est un mélange de Sarkozy et de Berlusconi, si cultivé qu’il a pris Robinson Crusoé pour une personne réelle. Bling-bling, corruption, réseaux maffieux et argent qui coule à flots, le président possédait jusqu’à présent le plus important club de football, le Colo Colo, la compagnie d’aviation LAN, la chaîne de télévision Chilevision, etc. La vente de ses actions dans le club Colo Colo lui a rapporté 7,4 millions de dollars, soit moins de 1 % de son patrimoine.
Le revers de la médaille, nous l’avons vécu à Rancagua, dans la poblacion (quartier pauvre) Villa Las Rosas et le campamento (bidonville) Norte Esperanza. Dans ces lieux, pas d’eau potable, pas d’électricité, pas de sanitaires, mais de la dignité à revendre. La présidente du comité de quartier, Blanca, nous accompagne : elle gagne l’équivalent de 100 euros par mois et fait vivre quinze personnes sous un toit de tôle et de carton, dans une poussière et une indigence désespérantes. Les gamins se baignent dans le caniveau. Lorsqu’ils sont malades, pas d’assistance médicale, « ils doivent prier Dieu ». Blanca sait qu’il s’agit d’un problème de répartition des richesses. Au loin, à 2 500 mètres d’altitude, on voit la plus grande mine de cuivre au monde, El Teniente. Sur le marché, les prix du cuivre flambent (5 dollars la livre) et enrichissent les multinationales : 30 milliards de dollars de bénéfice annuel, sans aucun impôt reversé au pays (l’État ne possède que 28 % des actions). Eduardo a été arenero toute sa vie, tirant manuellement le sable de la rivière, pour quelques pesos. Droit dans sa dignité, il est bouleversant lorsqu’il parle de « notre Neruda, celui qui nous a compris, qui a chanté nos luttes, nos souffrances, qui nous a donné voix au Parlement, qui a mis la poésie au service des pauvres ». Les larmes aux yeux, on écoute cette belle leçon.
Carlos Poblete, les femmes du bidonville nous parlent d’« apartheid social », de « plusieurs Chilis ». Dans ces baraques, se mêlent drogue, délinquance, violence et résistance. Les victimes pauvres du tremblement de terre attendent encore d’être relogées. Hormis un téléthon, le gouvernement n’a rien fait pour elles et préfère les reléguer à l’invisibilité, loin des centres-villes, dans des conditions de vie quasi animales.
Dans les rues de Santiago, nous avons questionné : quasiment personne ne savait que treize tortionnaires chiliens venaient d’être condamnés par la cour d’assises de Paris à de lourdes peines. Le silence médiatique au Chili a été quasi total. Ignorance ou volonté de ne pas avoir ? Au nom de la « stabilité » du pays, dans une société encore fortement marquée par le pinochétisme, et qui oblige à vivre dans une démocratie sans justice ni vérité, le décret-loi d’amnistie de 1978, déclaré « inapplicable », protège toujours l’impunité de la dictature. La Constitution pinochétiste de 1980 verrouille le système politique au service d’un modèle économique des plus ultralibéraux. L’avocat des droits de l’homme Eduardo Contreras, comme Garzon, a poursuivi Pinochet ; il a été la cible d’un attentat. « Nous vivons toujours sous le régime de l’impunité, malgré quelques avancées. » La Fédération internationale des droits de l’homme a condamné la légèreté des peines accordées aux ex-tortionnaires et la règle de semi-prescription qui permet de réduire les peines. 76 militaires sont dans des prisons trois étoiles, comme celle de Punta Peuco pour le patron de la police politique, la Dina, qui agissait dans 25 pays, dont la France.
En 2010, les Associations de familles des victimes (Afep), des avocats des droits de l’homme ont déposé 1 176 plaintes, 700 procès sont en marche. S’ils sont si nombreux, selon Eduardo Contreras, « c’est précisément que personne jusqu’à présent n’a eu le courage d’affronter la responsabilité de la dictature dans les crimes contre l’humanité. Pinochet n’a pas été vaincu, et la transition a été négociée : les réunions avaient lieu à l’ambassade nord-américaine. Au Chili, on ne recherche pas les près de 3 200 disparus ». Pour le journaliste Victor de la Fuente, le sang versé ne l’a pas été en vain, mais après une telle terreur, il faut plusieurs générations pour relever la tête.
Le revers de la médaille, nous l’avons vécu à Rancagua, dans la poblacion (quartier pauvre) Villa Las Rosas et le campamento (bidonville) Norte Esperanza. Dans ces lieux, pas d’eau potable, pas d’électricité, pas de sanitaires, mais de la dignité à revendre. La présidente du comité de quartier, Blanca, nous accompagne : elle gagne l’équivalent de 100 euros par mois et fait vivre quinze personnes sous un toit de tôle et de carton, dans une poussière et une indigence désespérantes. Les gamins se baignent dans le caniveau. Lorsqu’ils sont malades, pas d’assistance médicale, « ils doivent prier Dieu ». Blanca sait qu’il s’agit d’un problème de répartition des richesses. Au loin, à 2 500 mètres d’altitude, on voit la plus grande mine de cuivre au monde, El Teniente. Sur le marché, les prix du cuivre flambent (5 dollars la livre) et enrichissent les multinationales : 30 milliards de dollars de bénéfice annuel, sans aucun impôt reversé au pays (l’État ne possède que 28 % des actions). Eduardo a été arenero toute sa vie, tirant manuellement le sable de la rivière, pour quelques pesos. Droit dans sa dignité, il est bouleversant lorsqu’il parle de « notre Neruda, celui qui nous a compris, qui a chanté nos luttes, nos souffrances, qui nous a donné voix au Parlement, qui a mis la poésie au service des pauvres ». Les larmes aux yeux, on écoute cette belle leçon.
Carlos Poblete, les femmes du bidonville nous parlent d’« apartheid social », de « plusieurs Chilis ». Dans ces baraques, se mêlent drogue, délinquance, violence et résistance. Les victimes pauvres du tremblement de terre attendent encore d’être relogées. Hormis un téléthon, le gouvernement n’a rien fait pour elles et préfère les reléguer à l’invisibilité, loin des centres-villes, dans des conditions de vie quasi animales.
Dans les rues de Santiago, nous avons questionné : quasiment personne ne savait que treize tortionnaires chiliens venaient d’être condamnés par la cour d’assises de Paris à de lourdes peines. Le silence médiatique au Chili a été quasi total. Ignorance ou volonté de ne pas avoir ? Au nom de la « stabilité » du pays, dans une société encore fortement marquée par le pinochétisme, et qui oblige à vivre dans une démocratie sans justice ni vérité, le décret-loi d’amnistie de 1978, déclaré « inapplicable », protège toujours l’impunité de la dictature. La Constitution pinochétiste de 1980 verrouille le système politique au service d’un modèle économique des plus ultralibéraux. L’avocat des droits de l’homme Eduardo Contreras, comme Garzon, a poursuivi Pinochet ; il a été la cible d’un attentat. « Nous vivons toujours sous le régime de l’impunité, malgré quelques avancées. » La Fédération internationale des droits de l’homme a condamné la légèreté des peines accordées aux ex-tortionnaires et la règle de semi-prescription qui permet de réduire les peines. 76 militaires sont dans des prisons trois étoiles, comme celle de Punta Peuco pour le patron de la police politique, la Dina, qui agissait dans 25 pays, dont la France.
En 2010, les Associations de familles des victimes (Afep), des avocats des droits de l’homme ont déposé 1 176 plaintes, 700 procès sont en marche. S’ils sont si nombreux, selon Eduardo Contreras, « c’est précisément que personne jusqu’à présent n’a eu le courage d’affronter la responsabilité de la dictature dans les crimes contre l’humanité. Pinochet n’a pas été vaincu, et la transition a été négociée : les réunions avaient lieu à l’ambassade nord-américaine. Au Chili, on ne recherche pas les près de 3 200 disparus ». Pour le journaliste Victor de la Fuente, le sang versé ne l’a pas été en vain, mais après une telle terreur, il faut plusieurs générations pour relever la tête.
Jean Ortiz