lundi 8 octobre 2018

BRÉSIL : LE CANDIDAT D’EXTRÊME DROITE JAIR BOLSONARO, UN NOSTALGIQUE DE LA DICTATURE MILITAIRE





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BOLSONARO, EN MAI,À SÃO PAULO.
PHOTO PAULO LOPES. ZUMA PRESS. REA
Le capitaine de réserve, tantôt grossier, raciste ou homophobe, est arrivé largement en tête du premier tour de la présidentielle, dimanche.
QUAND CARLOS ALBERTO BRILHANTE USTRA
CACHAIT SON VISAGE
La session du Congrès brésilien a commencé depuis plusieurs heures, le 17 avril 2016, quand Jair Bolsonaro, à l’époque député, s’approche du pupitre. Apportant sa voix en faveur de l’« impeachment » (destitution) de la présidente de gauche, Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT), il dédie son vote « à Dieu », « à la famille », « aux forces armées », « contre le communisme » et « à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra », l’un des tortionnaires de la dictature militaire (1964-1985).

COUVERTURE DE
PLAYBOY JUIN 2011 
 
Le Brésil, choqué, découvre ce jour-là le visage d’un parlementaire jusqu’ici insignifiant. Un homme avide de notoriété et de polémiques, souvent moqué pour son inculture et réputé pour ses petites phrases, agressives, vulgaires et misogynes : « Je ne vous violerai pas car vous ne le méritez pas. Vous êtes très laide » (à l’encontre d’une consœur députée, en 2003 et 2014) ; « L’erreur de la dictature fut de torturer et non de tuer » (entretien à la radio Jovem Pan, en 2016) ; « Je serais incapable d’aimer un fils homosexuel. Je préférerais qu’il meure dans un accident de voiture » (entretien au magazine Playboy, en 2011).

JAIR BOLSONARO
PHOTO   ANDRE PENNER
À 63 ans, le militaire de réserve, tantôt grossier, raciste ou homophobe, est arrivé largement en tête de l’élection présidentielle, dimanche 7 octobre, avec 46,06 % des voix, selon les résultats définitifs.

« Sortir du placard »

Suscitant un culte quasi religieux de la part de ses militants qui le surnomment « Bolsomito » (Bolso le mythe), il représente, « l’opportunité, pour l’extrême droite ultraréactionnaire et nostalgique de la dictature militaire, de sortir du placard. Et même de prendre le pouvoir », estime Chico Alencar, candidat au Sénat pour le Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche).

Son ascension vertigineuse surprend encore les analystes. Elu sept fois député, avec trente ans de carrière politique, Jair Bolsonaro incarne pourtant le candidat « antisystème ».

DES ADEPTES DU MILITAIRE BOLSONARO ONT INSTALLÉ 
UNE POUPÉE GÉANTE DANS L'AVENUE 
PAULISTA  À  SÃO PAULO AU BRÉSIL. 
PHOTO EFE
Haïssant la gauche et en particulier le PT, au pouvoir de 2003 à mi-2016, et son leader, l’ancien chef d’État Luiz Inacio Lula da Silva, emprisonné pour corruption, mais aussi contempteur de la droite traditionnelle, il a su capter le vote « saco cheio » (ras-le-bol). Cette volonté de « dégagisme » d’un Brésil épuisé par une crise économique historique, les scandales de corruption et la violence quotidienne.

Né à Glicério, petite ville de l’État de Sao Paulo, ce fils de descendants d’immigrés italiens entame sa carrière dans les forces armées. Indiscipliné, revendicatif, le capitaine d’infanterie signe en 1986 un article aux accents syndicalistes dans la revue conservatrice Veja titré « Le salaire est bas », pour réclamer une meilleure rétribution des soldats.

L’audace lui vaudra quinze jours de mitard. Deux ans plus tard, il largue le képi pour embrasser une carrière politique. Et alors que le pays sort à peine de la dictature, Jair Bolsonaro assume la défense des militaires, vantant la grandeur du régime et la traque à mort des « communistes ».

« Un acteur »

« Pour curieux que cela puisse paraître, Jair Bolsonaro est un homme plutôt plaisant. Il a des positions extrêmes, mais c’est aussi un acteur. Il a souvent appelé les journalistes pour les prévenir qu’il allait faire à telle heure, à tel endroit, un scandale qui devait absolument être filmé », raconte un journaliste de Brasilia qui le suit depuis plus de vingt ans.

Alors qu’il est affilié au Parti progressiste (PP, droite), l’un des plus impliqués dans l’opération anticorruption « Lava Jato » (« lavage express »), il tente, en 2014, de faire avancer sa candidature pour l’élection présidentielle. En vain. Le parti le snobe et le militaire de réserve migre alors vers divers partis avant d’atterrir au Parti social-libéral (PSL).

BOLSONARO SE FAIT BAPTISER EN
 2016 PAR UN PASTEUR EN ISRAËL 
Dévoré par l’ambition, il élargit son spectre d’influences. Catholique, il se rapproche des évangéliques du Congrès, se fait baptiser en 2016 par un pasteur en Israël et adopte un discours anti-avortement.

Puis il séduit la « bancada ruralista », le puissant lobby de l’agronégoce. Adulé des forces de l’ordre, auxquelles il promet d’amnistier les crimes, Jair Bolsonaro devient aussi la coqueluche des fazendeiros (grands propriétaires terriens) à qui il promet de libéraliser le port d’armes et d’autoriser plus largement les pesticides.

Paulo Guedes, la carte maîtresse

« Jair Bolsonaro est un homme qui a des valeurs et ne te juge pas, il respecte l’agronégoce et lutte véritablement avec des mots et des actions pour que le Brésil soit le grenier du monde », confie Athos Junqueira, producteur rural et fondateur du groupe « Bolsomito Official Br » sur Facebook et Instagram.

Le père de cinq enfants serait sans doute resté un candidat de l’extrême droite effrayant mais sans véritable potentiel, s’il n’avait fait venir dans son équipe une carte maîtresse : Paulo Guedes. Un économiste ultralibéral, « Chicago Boy » anti-Etat et adepte des privatisations à outrance, qui a permis au militaire, hier nationaliste, de récolter l’adhésion des marchés financiers.

Le coup de couteau infligé par un déséquilibré, le 6 septembre, lors d’un meeting de campagne, achèvera de construire le « mythe ». Martyr, Jair Bolsonaro esquivera les débats qui auraient pointé la vacuité de son programme. Les artistes, les femmes ont eu beau manifester leur effroi criant « Ele nao » (pas lui), le capitaine de réserve semble aujourd’hui à une marche du pouvoir.