jeudi 25 avril 2019

CRISE EN ARGENTINE : « J’AI À NOUVEAU UNE SENSATION DE NAUFRAGE »


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

« J’AI À NOUVEAU UNE SENSATION DE NAUFRAGE » 
Le taux de pauvreté est le plus haut depuis l’effondrement de l’économie en 2001, tandis que le gouvernement maintient la politique d’austérité encouragée par le FMI.
Christine Legrand
6Temps de Lecture 6 min 
Une cérémonie officielle qu’il considérait comme un motif de fierté a mal tourné pour le président Mauricio Macri. Alors qu’il remettait en grande pompe, le 11 avril, à la Casa Rosada, des prix à plusieurs éminents chercheurs du Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet, équivalent du CNRS), ceux-ci ont saisi l’occasion d’être reçus au palais présidentiel pour lancer un cri d’alarme.

Fuite des cerveaux


« Un pays sans science ni technologie continuera à être un pays pauvre », a mis en garde le biochimiste Diego de Mendoza. Il a demandé le rétablissement du ministère des sciences, technologie et innovation productrice, relégué au rang de secrétariat d’Etat en septembre 2018, dans le cadre du plan d’austérité lancé par le gouvernement. Il a surtout réclamé une « augmentation du budget scientifique afin d’éviter que les jeunes chercheurs soient découragés par l’absence d’opportunités en Argentine et partent à l’étranger ».

Le lendemain, près de 200 directeurs de recherche du Conicet ont également exigé « un plan de sauvetage urgent » pour freiner « une fuite des cerveaux ». Pour leur niveau d’excellence, les scientifiques argentins sont prisés dans le monde entier. Nombreux de ceux qui s’étaient exilés à la fin des années 1990, lors des années de pouvoir de Carlos Menem (1989-1999), sont revenus en Argentine sous les gouvernements péronistes de Néstor Kirchner (2003-2007), puis de Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015), motivés par de meilleures conditions de travail. En revanche, faute de moyens cette année, sur 2 595 candidats, le Conicet n’a pu attribuer que 450 postes de chercheurs, soit 64 % de moins que prévu.

Fermetures de commerces, d’usines


La nouvelle crise argentine n’épargne aucun secteur. Dix-huit ans après le dramatique effondrement financier de 2001, « j’ai à nouveau une sensation de naufrage », se désespère Esther Mercado. Elle a fermé sa boutique de vêtements sur Santa Fe, l’avenue commerçante de la capitale. Les ventes ont chuté et elle ne peut plus payer le loyer du local ni les impôts.
« Celui qui perd son travail n’a plus aucune chance de trouver un autre emploi. »
Les fermetures de petits commerces mais aussi d’usines s’enchaînent, avec leur cortège de perte d’emplois. Le taux de chômage est grimpé à 9,1 %, avec 350 000 nouveaux chômeurs en 2018. « Celui qui perd son travail n’a plus aucune chance de trouver un autre emploi. Avant, on pouvait s’en sortir avec de petits boulots, au noir, dans la construction, comme jardinier ou promeneur de chiens, mais c’est fini, car la classe moyenne doit elle aussi se serrer la ceinture », constate Pedro Sanchez, qui, à 32 ans, a perdu son poste de vendeur dans une librairie.

Les chiffres sont accablants. L’inflation annuelle est de près de 55 %. Les taux d’intérêt sont devenus prohibitifs, empêchant l’accès au crédit : ils frisent les 70 %. Le cours du dollar par rapport au peso argentin a encore fait un bond de 3,7 % mercredi 24 avril. Dans un pays riche en ressources naturelles, la pauvreté s’étend. Désormais, 32 % des Argentins sont pauvres – il s’agit du taux le plus haut depuis la crise de 2001 –, et 6,7 % sont dans l’indigence.

« La faim a de nouveau fait son apparition »


Les premières victimes sont les enfants : 46, 8 % vivent dans la pauvreté, selon des chiffres de l’Université catholique, qui fait référence en la matière. L’un des thermomètres de cet appauvrissement accéléré sont les cantines populaires, qui se multiplient. Elles sont débordées.

« Ce ne sont plus seulement des enfants, mais des familles entières qui viennent chaque jour », explique Maria Esther, l’une des cuisinières de Villa Itati, à Quilmes, dans la banlieue sud de Buenos Aires. « Les enfants réclament de la viande et du poulet et c’est douloureux de leur expliquer que c’est hors de prix. Pour les rassasier, on prépare des soupes et des ragoûts avec du riz ou des pâtes et quelques légumes», explique-t-elle, regrettant que des produits alimentaires de base, comme le lait, aient augmenté de 64 % en douze mois. Selon Maria Esther, l’aide apportée par le ministère de développement social et les donations de particuliers « ne suffisent plus ».

« La faim a de nouveau fait son apparition et nous considérons que c’est la pire année depuis la crise de 2001 », dénonce Daniel Menendez, de l’organisation sociale Quartiers Debout. « Si les prix sont devenus inaccessibles pour la classe moyenne, imaginez ce qui se passe dans les quartiers périphériques », renchérit Esteban Castro, titulaire de la Confédération des travailleurs de l’économie populaire.

SOUPE POPULAIRE DANS LE BIDONVILLE DE
VILLA ZAVALETA À BUENOS AIRES, LE 24 SEPTEMBRE 2018.
PHOTO EITAN ABRAMOVICH/AFP
Après deux crises monétaires en 2018, qui ont fait perdre 50 % de sa valeur au peso, M. Macri a appelé à l’aide le Fonds monétaire international (FMI) qui, en contrepartie, a exigé un dur plan d’austérité. « L’Argentine n’est pas gouvernée par Macri mais par Christine Lagarde », la directrice générale du FMI, ironisent les plus désabusés.

MEMBRES DU "MOVIMIENTO POPULAR LA DIGNIDAD", QUI
APPORTE UNE AIDE ALIMENTAIRE À PRÈS DE 700 FAMILLES
TOUCHÉES PAR LA CRISE ÉCONOMIQUE, À BUENOS AIRES,
LE 11 JANVIER 2019.
PHOTO RONALDO SCHEMIDT / AFP
La gouverneure de la province de Buenos Aires, Maria Eugenia Vidal, une proche de Mauricio Macri, a reconnu mercredi 24 avril que la province se trouvait « dans une situation sociale critique » et a annoncé un paquet de mesures telles que la suspension de la hausse des prix de l’électricité, des crédits pour les PME, ou encore des remises de 50 % dans les supermarchés pour les achats réalisés avec la carte de crédit de la Banque Province.

Le quotidien est chaotique, ponctué de coupures de routes et de manifestations.


Un climat de lassitude règne en Argentine. Le quotidien est chaotique, ponctué de coupures de routes et de manifestations. A l’appel des organisations sociales, ils sont de plus en plus nombreux dans toutes les villes du pays à exprimer leur colère contre la flambée des prix et à exiger que soit déclaré l’état d’urgence alimentaire. Le puissant syndicat des camionneurs a convoqué à une grève générale le 30 avril, la cinquième contre le gouvernement Macri.

« Il faut tenir le coup. Nous sommes sur le bon chemin », ne cesse, malgré tout, de répéter le chef de l’État qui, pendant sa campagne électorale, avait promis de placer l’Argentine sur la route d’une croissance continue avec le slogan d’une « pauvreté zéro ». Mais, désormais, le temps presse pour M. Macri, à six mois de l’élection présidentielle d’octobre, au cours de laquelle il entend briguer sa réélection pour un nouveau mandat de quatre ans. Sa cote de popularité est en baisse. L’annonce d’un gel des prix d’une soixantaine de produits de consommation courante, à compter du 22 avril, et pour six mois, est perçue comme un constat d’échec de sa politique économique.


Cristina Kirchner omniprésente


Bien qu’elle n’ait toujours pas annoncé si elle serait à nouveau candidate à la présidence, Cristina Kirchner est omniprésente sur la scène politique, polarisant toujours autant l’attention des citoyens. La crise économique contribue à la conforter dans les sondages, faisant presque oublier qu’elle a été mise en examen dans onze affaires de corruption. Elle doit comparaître pour la première fois devant des juges le 21 mai, bien qu’elle soit protégée par l’immunité parlementaire que lui confère son siège de sénatrice. Le reste de l’opposition reste divisé, incapable, de la droite jusqu’à la gauche, de se mettre d’accord sur un candidat d’alternance.

Le président Macri multiplie les réunions avec des gouverneurs, des chefs d’entreprise, des syndicalistes, des intellectuels et jusqu’aux évêques pour tenter de les convaincre qu’une reprise est possible, grâce à une augmentation des exportations de céréales, de viande et de pétrole. Dans cette course contre la montre, le président argentin a annulé ses visites prévues à l’étranger, en France notamment, le 26 avril.
Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)