mercredi 24 avril 2019

LE MAL COLONIAL

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ANTÓNIO DE OLIVEIRA SALAZAR
ILLUSTRATION 
ANDRÉ CARRILHO
 GEORGES MOUSTAKI 
«PORTUGAL»

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 GEORGES MOUSTAKI «PORTUGAL»

Article paru dans Le Figaro du 26 avril 1974.

Un putsch vient de mettre fin à une dictature qui se prolongeait depuis près de cinquante ans.

Le régime mis en place en 1928 par le docteur Salazar est tombé comme un fruit mûr dans les mains de l’armée qui avait tant fait pour l’établissement de ce pouvoir et sa consolidation. Signe des temps. Des temps qui n’avaient pas changé pour le Portugal, pays figé dans le corporatisme et les anachronismes économiques et politiques. Seul pays au monde aussi à avoir conservé son empire colonial, en dépit des expériences de ses voisins, des condamnations et des admonestations des Nations Unies, du poids de la guerre de plus en plus pesant dont les dépenses absorbaient presque la moitié du budget national.

Seuls les militaires qui se battaient durement en Afrique contre des guérilleros de mieux en mieux armés et -sauf en Angola- toujours plus efficaces étaient en contact avec les réalités du monde extérieur, tandis que Lisbonne poursuivait ses vieux rêves impérieux, remontant au XVe siècle. Le décalage entre le gouvernement de Ia métropole et les troupes qui combattaient outre-mer était d’autant plus douloureusement ressenti par ces dernières qu’elles se voyaient mises en accusation non seulement par des mouvements internationaux, mais aussi par les «pieds noirs» qui leur reprochaient leur mollesse.
Putsch étrange dont les buts annoncés sont le retour à un régime démocratique et le désengagement en Afrique, I’«anti-Chili» en quelque sorte.
Il n’y avait rien à attendre des réactions d’une population traditionnellement amorphe, pas plus que d’un parlement où le parti gouvernemental était seul représenté. Il n’est guère étonnant que la révolte soit née et se soit développée chez les «centurions» amers et incompris. Qu’elle ait été encouragée par l’ouvrage de réflexion du plus illustre d’entre eux, le général Spinola qui dans Le Portugal et l’avenir, affirmait que la guerre coloniale ne pourrait jamais être gagnée sur le terrain.

Dès lors les mouvements «professionnels» d’officiers, qui jusqu’alors se contentaient d’exprimer des revendications strictement militaires, ne pouvaient que se politiser. L’évolution a été rapide. Deux mois à peine. L’erreur du gouvernement de Lisbonne a été de refuser de reconnaître cette prise de conscience, de vouloir l’ignorer. L’alerte du 18 mars dernier, qui vit la marche du régiment de Caldas sur la capitale aurait dû l’éclairer, l’encourager à fournir quelques apaisements rapides. Mais, une fois de plus, les habitudes du régime ont prévalu: arrestations, mutations, mises à la retraite.

Le processus devenait évident, au bout duquel il y avait le putsch militaire. Putsch étrange dont les buts annoncés sont le retour à un régime démocratique et le désengagement en Afrique, I’«anti-Chili» en quelque sorte. Il annonce à coup sûr la fin d’une époque et sans doute le début d’une autre histoire, celle de la libéralisation du Portugal qui préparerait la complète réintégration dans le concert européen.

Par Georges Dupoy