mardi 30 avril 2019

ESPAGNE. LE DILEMME DE PEDRO SANCHEZ


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ESPAGNE. LE DILEMME DE PEDRO SANCHEZ 
Les socialistes ont remporté les élections générales du 28 avril, sur fond de poussée de l’extrême droite. Faute de majorité, leur leader devra nouer des alliances pour gouverner.
NOUS CÉLÉBRONS LA DÉFAITE DU TRIFACHITO ET LA POSSIBILITÉ D'OUVRIR UNE ÉTAPE DE POLITIQUES POUR LA MAJORITÉ SOCIALE.(PCE
Cathy Dos Santos
LE DILEMME DE PEDRO SANCHEZ 
DESSIN CÁNEBA
6Temps de Lecture 4 min 43 s 
Passée l’euphorie de la victoire, tout reste à faire pour Pedro Sanchez. Le chef de file du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a, certes, enrayé un cycle de défaites de onze ans, en remportant le 28 avril les élections générales anticipées. Avec 7 480 755 voix, soit 28,7 % des suffrages, la formation obtient 123 députés, contre 85 dans la précédente législature. Elle fait également un carton plein au Sénat, en raflant 121 sièges auxquels s’ajoutent les 18 désignés dans les régions. Avec un total de 139 sénateurs sur 266, le PSOE s’arroge la majorité absolue. Ce n’est pas là un détail, les équilibres politiques de cette chambre avaient été fondamentaux à l’heure d’appliquer l’article 155 de la Constitution, privant la Catalogne de ses prérogatives. « Le futur a gagné, et le passé a perdu », a résumé, dimanche, Pedro Sanchez devant une foule massée devant le siège de son parti, rue Ferraz, à Madrid. Le passé, c’est le trio de la droite dans lequel figure Vox. Événement impensable il y a encore quelques mois, l’extrême droite fait une entrée fracassante aux Cortes avec 24 députés. Du jamais-vu depuis la fin de la dictature franquiste.

La Gauche catalane détient l’une des clés des pourparlers


L’ancien président du gouvernement est donc face à un dilemme politique. Faute de majorité absolue (176 sièges), il est contraint de nouer des alliances afin de pouvoir gouverner. C’est là le principal enjeu postélectoral. Les militants socialistes, qui se sont massivement pressés devant leur QG à l’annonce des résultats, ont été catégoriques : « Avec (Albert) Rivera, non ! Avec Rivera, non ! » ont-ils scandé, en référence au dirigeant de Ciudadanos (C’s). En totalisant pas moins de 4 136 600 votes, soit 15,9 %, les ultralibéraux sont les autres vainqueurs du scrutin. En passant de 32 à 57 députés, C’s devient une force incontournable à droite, au point même de venir taquiner le leadership du Parti populaire (PP). Une alliance du poing et de la rose et de la formation orange offrirait à Pedro Sanchez une confortable majorité de 180 voix. Mais, ce serait là un pari risqué. Il devrait alors renoncer à la dimension sociale des orientations qui a pourtant prévalu durant cette dernière année de mandature. Il sait également que ce serait le baiser de la mort : une partie de son électorat ne lui pardonnerait pas ce choix, après avoir essuyé des politiques d’austérité pendant des années. « La coalition entre le PSOE et Ciudadanos plairait probablement davantage aux marchés financiers en raison de la posture libérale de Ciudadanos. Elle serait mieux reçue que le populisme de Unidas Podemos (UP) », a fait savoir l’équipe d’analyse européenne de la banque Santander. C’est dire si la pression est énorme.

Les yeux se tournent vers Unidas Podemos, la coalition regroupant Izquierda Unida, le mouvement de Pablo Iglesias, et les écologistes d’Equo, principale partenaire de Pedro Sanchez depuis juin 2018. Elle résiste tant bien que mal à la stratégie du vote utile mise en place par le PSOE face au danger de l’extrême droite. Bien qu’en recul avec 3 732 929 suffrages (14,3 %) et 42 parlementaires, contre 71 en 2016, l’alliance rouge, verte et violette va jouer un rôle moteur dans les négociations à venir. « Nous aurions aimé un meilleur résultat, mais il (…) nous permet d’accomplir les deux objectifs de la campagne : freiner la droite et l’extrême droite et construire un gouvernement de coalition des gauches. (…) Nous devrons avoir beaucoup de réunions de travail pour faire un programme qui remplisse le mandat qui nous a été confié, à savoir un programme qui protège les majorités sociales », a déclaré Pablo Iglesias. Le communiste Alberto Garzon a demandé à Pedro Sanchez d’« éviter la tentation orange ». « C’est le moment de profiter des résultats pour blinder les services publics et protéger les salariés », a-t-il fait valoir.

Le PSOE et UP totalisent 165 députés et devront se tourner vers les partis régionalistes et indépendantistes tels que le Parti nationaliste basque (6 élus), Bildu (4), Compromis (1). Mais c’est surtout la Gauche républicaine de Catalogne qui détient l’une des clés des pourparlers puisqu’elle a fait élire 15 députés. Des accords seront compliqués à trouver dès lors qu’il faudra aborder l’épineux règlement du conflit avec la Catalogne. Néanmoins, leur porte-parole au Parlement, Gabriel Rufian, a ouvert une porte. « Nous demandons à Sanchez une table de négociation qui agglutine toutes les réalités de la Catalogne. Nous, nous sommes disposés à discuter avec la gauche espagnole, également avec Podemos. Nous espérons que Sanchez respecte les votants qui lui demandent de dialoguer avec nous », a-t-il réagi devant les caméras de Telecinco. C’est peu dire que les discussions s’annoncent fragiles et complexes.

Un désaveu pour les conservateurs qui ont droitisé leur discours


À droite, en revanche, les espoirs de diriger la quatrième économie de la zone euro ont été douchés. Le Parti populaire (PP), qui avait remporté les élections générales anticipées de 2016 avant de tomber à la faveur d’une motion de censure parce que minoritaire au Parlement, s’est écroulé. Avec 66 élus, contre 137 sortants (4 356 023 suffrages, soit 16,7 %), les conservateurs enregistrent le pire score de leur histoire. Ils paient les innombrables scandales de corruption qui éclaboussent les dirigeants. C’est un cinglant désaveu également pour leur jeune secrétaire général, Pablo Casado, qui a « droitisé » davantage le discours de PP pour chasser sur les terres les plus réactionnaires. Les électeurs auront finalement préféré l’original à la copie. C’est là l’autre donnée majeure du scrutin : l’ancrage de Vox dans la vie politique. Le parti de Santiago Abascal a totalisé 2 677 173 voix (10,3 %) et intègre ainsi le Parlement avec 24 élus. Hier encore inexistante dans les institutions, l’extrême droite est parvenue à imposer son agenda et ses thèmes de prédilection : l’immigration, la désintégration de l’Espagne en raison du mouvement sécessionniste catalan… Elle n’est pas étrangère non plus au glissement idéologique à l’œuvre chez notre voisin. Si au terme de ce scrutin, où l’on notera une participation à la hausse avec 75,75 %, la droite et ses extrêmes ne sont pas en mesure de rivaliser avec la gauche, elles réalisent toutefois des scores très honorables. Dans la capitale, elles arrivent en tête, ce qui n’est pas très rassurant pour l’actuelle majorité progressiste alors que se profilent les élections municipales du 26 mai.

Pedro Sanchez est au pied du mur et ses marges de manœuvre ne sont pas inépuisables. Il se sait attendu au tournant, après quatre années d’instabilité parlementaire, et l’exigence d’un projet social qui rompt avec la rigueur budgétaire d’hier.