jeudi 11 avril 2019

POURSUIVIE PAR LE CHILI ET EMPRISONNÉE EN INDE, CETTE FRANÇAISE DÉCIDE DE RIPOSTER


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LE CHILI AVAIT ACCUSÉ MARIE-EMMANUELLE VERHOEVEN,
EN 2014, D’ÊTRE IMPLIQUÉ DANS L’ASSASSINAT D’UN SÉNATEUR
PHOTO PQR/PRESSE OCEAN
Libérée après vingt-huit mois d’incarcération, Marie-Emmanuelle Verhoeven, 59 ans, demande réparation à l’encontre de l’Inde et du Chili.

Il y a eu, longtemps, ces nuits sans sommeil où semblaient résonner « les cris et les bruits » de la prison de New Delhi (Inde). Il y a, chaque matin, avant son temps de méditation, ce premier pas dehors pour « aller regarder le ciel. » Et, presque chaque après-midi, de longues balades en bord d’océan avec son énorme chien à robe noire, un Terre-neuve fougueux offert par sa famille qu’elle a baptisé Kaïvaliya. « Nul ne peut savoir ce qu’est la privation de liberté avant de l’avoir vécue », relève-t-elle, comme étonnée d’avoir eu à l’éprouver.

Voici bientôt deux ans que Marie-Emmanuelle Verhoeven, 59 ans, a été libérée et rendue à la France par l’Inde, où l’acharnement du Chili à réclamer son extradition pour sa présumée participation au meurtre du sénateur chilien Jaime Guzmán en 1991, qu’elle a toujours niée, a fini par échouer. Cette accusation, relayée par une notice rouge d’Interpol, lui avait déjà valu quatre mois d’incarcération en Allemagne début 2014.

En Inde, où elle se rendait pour un pèlerinage bouddhiste, ce seront seize mois à la prison Tihar de New Delhi, puis douze mois d’assignation à résidence. Avec, entre incompréhension et révolte, des procédures sans fin, des espoirs bafoués, parfois l’angoisse que l’on s’en prenne physiquement à elle. Avec aussi, en cette absence contrainte, la naissance de sa première petite-fille et la mort de son père. « Trois ans de ma vie… Ça casse tout », souffle-t-elle.

Objectif réhabilitation

Marie-Emmanuelle Verhoeven reçoit autour d’un café dans la petite maison où elle s’est installée à son retour. Un endroit paisible sur la côte Atlantique, non loin des siens et de cette enfant qui avait déjà deux ans quand elle est rentrée. Elle prévient doucement : « Chaque interview réveille mes cauchemars. » Si elle continue à raconter, c’est parce que son combat n’est pas terminé. « Dites leur que vous vous battez contre deux pays », lui avait conseillé, pour résumer au mieux son histoire, Subramanian Swamy, ancien ministre et sénateur indien, figure de la lutte anticorruption dont le soutien a été décisif. Ces mots valent au présent : contre l’Inde, contre le Chili, l’ancienne captive a décidé de faire valoir ses droits.

Avec ses avocates, Maître Ramni Taneja à New Delhi, Maîtres Clémence Witt et Camille Tardé à Paris, elle a lancé une salve de procédures pour obtenir sa réhabilitation. « Surtout pour qu’il n’y ait pas d’impunité, ni pour moi ni pour d’autres », souligne-t-elle. Dès l’été 2018, une plainte visant l’Inde a été déposée devant le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU à Genève et un procès en réparation entamé devant la Haute Cour de justice de New Delhi. À l’encontre du Chili, une requête devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies vient d’être formulée. Son but, y écrit-elle, est de «mettre un terme à la persécution judiciaire dont elle est la victime » depuis cinq ans et de « faire reconnaître la violation de ses droits civils et politiques » par ce pays.

Des « poursuites infondées » politiques ?

« Arrestations et détentions illégales et arbitraires » en Allemagne et en Inde, atteinte à la présomption d’innocence par « des accusations infondées », violation de son droit à une vie privée et familiale, liste notamment son recours. Il souligne aussi cette étrangeté : près de trente ans se sont écoulés depuis les faits reprochés par le Chili, pays où Marie-Emmanuelle Verhoeven a vécu durant dix ans et où son second fils est né. Puis vingt ans depuis son retour en France, où cette Nantaise, qui a longtemps géré un foyer pour enfants en difficulté, vivait sans se cacher.

Or jamais le Chili, depuis la réouverture du dossier Guzmán, n’a formulé la moindre demande d’entraide judiciaire à la France. « Tandis que les autorités chiliennes avaient toute liberté pour solliciter l’audition de Marie-Emmanuelle Verhoeven sur le territoire français entre 1995 et 2014, elles ont délibérément privilégié l’envoi de demandes d’extradition illégales en Allemagne puis en Inde. Un acharnement qui démontre le caractère éminemment politique de ces poursuites infondées », soulignent Mes Witt et Tardé.

Fin novembre, Marie-Emmanuelle Verhoeven a obtenu une première victoire : l’effacement de sa notice rouge d’Interpol, que l’organisation policière a reconnue comme « non conforme (à ses) règles ». Une décision qui l’a paradoxalement plongée dans un immense désarroi. « Je me suis dit : Tout ça pour ça… », explique-t-elle.

« Je suis vivante, mais à quel prix ? »

Cette femme à la fois solide et fragile évoque avec pudeur les difficultés qu’elle rencontre depuis son retour. Le bonheur des retrouvailles avec ses proches a parfois été entaché de silences et de maladresses. Le stress qu’elle a subi a laissé des traces sur sa santé. Elle qui avait pour projet d’ouvrir une petite guesthouse au Népal a « tout perdu » et vit avec le RSA. « Je suis vivante, c’est indéniable, mais à quel prix ? » a-t-elle écrit il y a un an à la ministre indienne des Affaires étrangères.

MARIE-EMMANUELLE VERHOEVEN AVEC SON
AVOCATE, RAMNI TANEJA, À NEW DELHI, EN 2016.
PHOTU CHANDAN KHANNA
En prison, à Tihar, l’écriture d’un livre adressé à sa petite fille, où elle raconte le chemin qui l’a conduit au bouddhisme, l’avait aidé à tenir. L’ouvrage, qu’elle aimerait voir traduit en France, a depuis été publié en anglais («Around every corner »). Elle est sur le point d’en achever un second, consacré cette fois à l’histoire de sa captivité en Inde. Mais pour l’heure, après des mois à travailler la requête contre le Chili, elle éprouve le besoin de souffler. « Tourner la page, non, mais en ouvrir une nouvelle. »

L’affaire en dates

1985 - 1995. Originaire de Nantes, Marie-Emmanuelle Verhoeven vit au Chili. En 1994, après la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet, dans le cadre d’une mission d’observation des conditions de détention des prisonniers politiques, elle rencontre deux des militants d’une fraction autonome du Frente patriotico Manuel Rodriguez (FPMR) accusés de l’assassinat du sénateur Jaime Guzmán, abattu en 1991. Son seul lien avec cette affaire, assure-t-elle.

Janvier 2014 - juin 2014. Arrestation et détention en Allemagne sur la foi d’un mandat d’arrêt lancé par le Chili via une notice rouge d’Interpol l’accusant de « complot terroriste ». L’Allemagne refuse son extradition, la considérant « illicite », et la libère.

Février 2015 - juillet 2017. Toujours à la demande du Chili, la Française est arrêtée en Inde et incarcérée à New Delhi durant seize mois. Libérée après 27 jours de grève de la faim en juillet 2016, elle est ensuite assignée à résidence durant douze mois. L’absence de traité d’extradition entre Inde et Chili ou une décision de la Haute Cour de justice de Delhi ayant jugé son incarcération illégale ont été contournées. L’Inde finit par abandonner les poursuites et la libère le 27 juillet 2017. Elle rentre alors en France.

Juillet 2018. Lancement de deux procédures contre l’Inde.

Novembre 2018. Interpol efface sa notice rouge.

Février 2019. Recours contre le Chili devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies.