lundi 14 mars 2016

AU BRÉSIL, DILMA ROUSSEFF FACE AU LYNCHAGE MÉDIATIQUE

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DES BALLONS GÉANTS REPRÉSENTANTS LUIZ INACIO LULA DA SILVA 
ET DILMA ROUSSEFF  LORS D'UNE MANIFESTATION À SAO PAULO LE 13 MARS 2016
PHOTO ANDRE PENNER
Au Brésil, Dilma Rousseff face à des manifestations d’ampleur inédite.  Ce dimanche 13 mars 2016, sur l’avenue Paulista, à Sao Paulo, Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », président mythique du Brésil de 2003 à 2010, icône des classes populaires, ne valait guère plus de 10 reais (2,5 euros). Le prix d’un petit ballon à l’effigie de l’ancien métallo grimé en bagnard, matricule «13-171», que se sont arrachés une bonne partie des quelque 1,4 million de manifestants (selon le secrétariat à la sécurité de Sao Paulo ; 500 000 selon l’institut de recherche Datafolha) venus réclamer la prison pour l’ancien président suspecté de corruption. « C’est cher payé. Lula, le vrai, il vaut zéro », lâche Leticia Falcao, une jeune bourgeoise accompagnée de sa mère et de son fils.
UNE DE «VEJA» DU MOIS DE MARS 2016
« LE DÉSESPOIR DE LA VIPÈRE »
Près d’un million et demi de manifestants à Sao Paulo, des centaines de milliers à Rio de Janeiro, des dizaines de milliers dans les autres grandes villes du pays, les Brésiliens étaient au total plus de trois millions, selon le secrétariat à la Sécurité publique, à être descendus dans les rues dimanche.

Une mobilisation historique. En colère contre Lula, le « démago » et Dilma Rousseff sa successeure et actuelle présidente, dont ils réclament la destitution («impeachment»), les manifestants n’applaudissaient qu’à la vue des hélicoptères de la police fédérale et à l’évocation du juge Sergio Moro, « leur justicier », qui se bat contre la corruption qui gangrène leur pays.

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PHOTO RICARDO STUCKERT

Quatrième édition d’une série de protestations débutées en avril 2015 pour appeler au départ de la présidente du Parti des travailleurs (PT, gauche) quelques mois seulement après sa réélection, l’exaspération des Brésiliens a été aiguisée par les derniers développements de l’enquête « Lava-Jato » (lavage express) dirigée par le juge Moro. L’affaire, qui a mis au jour un réseau de corruption tentaculaire liant le groupe pétrolier Petrobras, des entreprises du bâtiment et des politiques de tout bord, se rapproche maintenant de Lula. Suspecté d’avoir bénéficié de cadeaux de groupes de BTP, l’ancien président a vu son domicile perquisitionné, vendredi 4 mars, avant d’être conduit de force à faire une déposition devant les policiers.


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UN PROJET DE «COUP D’ÉTAT» 
DE LA DROITE?


13 - 171 «NOMBRE KABBALISTIQUE» FORMÉ PAR LE NOMBRE (13) DU PARTI DES TRAVAILLEURS ET - 171 - LE NUMÉRO DE L’ARTICLE QUE TYPIFIE LE LARCIN, DANS LE CODE PÉNAL BRÉSILIEN.

L’opération, menée devant les caméras de télévision, a outré les plus fidèles soutiens de l’ancien syndicaliste, qui ont dénoncé la partialité de la justice, le complot des élites et une chasse aux sorcières orchestrée contre le PT. Mais l’action policière a aussi révélé un Lula mal à l’aise face aux accusations, un homme sur la défensive soutenu maladroitement par Dilma Rousseff prête à le faire entrer dans son gouvernement. De quoi renforcer la hargne de ceux qui exècrent l’ancien dirigeant et réclament le départ de la présidente, membre d’un parti accusé d’avoir précipité le pays dans la récession.

Le Parti des travailleurs sur la sellette

«AFFICHE DE CAMPAGNE»
BRIGUANT UN DEUXIÈME MANDAT CONSÉCUTIF,
LULA PART FAVORI DANS LES INTENTIONS DE VOTE
 
La rue fera-t-elle vaciller le gouvernement ? «Les parlementaires seront influencés par le bruit de la foule», indique Carlos Melo, politologue, professeur à l’institut d’études supérieures Insper de Sao Paulo. Déjà menacée par une procédure de destitution, Mme Rousseff pourrait perdre le soutien du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), son allié au sein de la coalition gouvernementale, réputé pour son opportunisme et une idéologie qui se résume à être de tous les gouvernements. L’ancienne guerrillera torturée sous la dictature a beau jurer qu’elle ne démissionnera pas, elle serait alors dans l’incapacité totale de gouverner.

«La question n’est plus de savoir quand mais comment le gouvernement va tomber », prévient Joao Augusto de Castro Neves, responsable du Brésil chez Eurasia, cabinet d’analyse et de pronostics politiques qui évalue à 65 % la probabilité d’une chute du gouvernement. «Contrairement à ce que croient certains, l’impeachment ne serait pas une solution pour la stabilité politique du pays», dit-il. En cas d’impeachment, le vice-président Michel Temer (PMDB), censé assumer le pouvoir après le départ de Mme Rousseff, resterait menacé par une procédure du Tribunal supérieur électoral : des soupçons de financement illégal planent sur sa campagne présidentielle de 2014 menée avec Mme Rousseff. Sa culpabilité ferait à nouveau tomber le pouvoir. Selon le cabinet, l’issue ne peut donc venir que de l’organisation de nouvelles élections.

Un nouveau scrutin dans lequel le PT aurait peu de chances. Sali par les scandales, usé par treize ans de pouvoir, le parti, abîmé, manque de souffle. « La jeunesse de gauche, celle qui n’a pas connu les années Lula n’adhère pas au modèle du PT », souligne Daniel Pereira Andrade, sociologue à l’institut Gétulio Vargas de Sao Paulo.

Les plus pessimistes voient ainsi se refermer la
CHICO BUARQUE, FÉLICITE LULA, LORS DE SON 70ÈME ANNIVERSAIRE
parenthèse du PT qui avait donné, avec Lula, la parole aux «invisibles», aux oubliés des gouvernements, que l’ancien président a contribué à sortir de la misère. «La situation est grave», estime Denise Assis écrivain signataire avec plus de 80 intellectuels et artistes dont le chanteur Chico Buarque, d’un texte en soutien à Lula, dénonçant un « coup d’État » de la droite. « Je ne mettrai pas ma main au feu que Lula est innocent. Le gouvernement de Dilma a déçu. Mais on ne peut laisser le pays à des gens qui défendent un libéralisme échevelé », appuie-t-elle.