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Mais cette arrivée porte aussi le soupçon d’un arrangement avec la justice. Lula, suspecté de corruption, est la cible de l’enquête dite « Lava Jato » (lavage express), qui a mis au jour un scandale d’appels d’offres truqués impliquant le groupe pétrolier Petrobras, des entreprises du bâtiment et travaux publics (BTP) et des hommes politiques. Ministre, l’ex-président échapperait aux poursuites du juge fédéral Sergio Moro pour n’être redevable que devant la Cour suprême.
Ces doutes ont été renforcés dans la soirée par la divulgation d’une récente écoute téléphonique menée par la police fédérale entre Lula et la présidente. Dans cet enregistrement d’une minute et demie, Dilma Rousseff prévient son prédécesseur qu’elle lui fera parvenir son « décret officiel » de nomination afin qu’il puisse « s’en servir en cas de besoin ». Ces quelques secondes, entendues comme la preuve du délit, ont embrasé mercredi soir une trentaine de villes dont Brasilia et Sao Paulo, où la foule appelait à la démission immédiate de Dilma Rousseff et à l’emprisonnement de Lula. « Le contenu des écoutes est grave et vaut impeachment. Dilma Rousseff pourrait ne pas s’en remettre », estime Stéphane Monclaire, professeur à la Sorbonne et expert du Brésil.
Récession historique
Réélue en 2014, haïe des conservateurs pour sa foi en l’interventionnisme de l’État, mal-aimée d’une partie de la gauche pour le « tournant de la rigueur » entamé il y a plus d’un an, la présidente aura joué avec Lula sa dernière carte. Elle, qui avait assuré n’avoir pas la « tête de celle qui renonce », accepte ainsi de s’effacer devant celui qui, bien qu’abîmé par les affaires, reste une figure mythique au Brésil.
Le ministère offert à Lula est un poste-clé. Avant de l’accepter, l’ancien syndicaliste, habile négociateur et fin tacticien, a posé ses exigences : une modification radicale de la politique économique. Il y a urgence, le pays sombre dans une récession historique. A moins que la justice ou la rue n’empêche le déroulement de ses plans, Lula devrait inviter au gouvernement d’autres poids lourds du PT qui, jusqu’ici, préféraient ne pas accoler leur nom à celui de Dilma Rousseff.
« Nous pourrions vivre une sorte d’expérience à la française avec une présidente chef de l’État et un premier ministre qui gouverne », commente Marco Antonio Carvalho Teixeira, professeur de sciences politiques à la Fondation Getulio-Vargas. Lula est apparu en homme providentiel après le discrédit jeté ces dernières quarante-huit heures sur l’ancien candidat présidentiel Aécio Neves, du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, opposition), et sur le vice-président Michel Temer, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) censé remplacer Dilma Rousseff en cas de destitution. Un discrédit lié aux révélations de Delcidio do Amaral, ancien chef du groupe PT au Sénat, qui se décrit comme le « prophète du chaos » et a accusé des dizaines d’hommes politiques dans le cadre de l’enquête « Lava Jato ».
« Charles de Gaulle ou Poutine »
« S’il réussit, Lula sera notre “Charles de Gaulle” ; s’il échoue, il sera, avec Dilma, considéré comme un Poutine avec son Medvedev, estime le politologue Mathias de Alencastro. A court terme, l’image pour Lula est désastreuse. Mais tout peut se retourner. Nous étions dans une situation de coma politique et économique. Une partie de la population imagine que tout changement, désormais, ne peut être que positif. »
Pour faire taire les rumeurs d’obstruction à la justice, Brasilia a pris soin d’expliquer que Lula reste justiciable. Et que la Cour suprême, qui a condamné José Dirceu, ancien chef de cabinet de Lula, n’est guère plus tendre que le juge Moro. Mais la partie est risquée. « La population va se radicaliser, les indignés seront encore plus indignés, les “lulistes” feront encore davantage corps avec Lula », pronostique Carlos Melo, de l’institut d’études supérieures Insper à Sao Paulo. Un recours auprès de la Cour suprême pour empêcher l’arrivée de Lula au gouvernement est aussi probable, pense-t-il.
Et quand bien même l’ancien président parviendrait à exercer le pouvoir, il pourrait se révéler incapable de parvenir à ses fins. « Pour éloigner la menace d’impeachment, il faut que le PT parvienne à mobiliser la rue face aux opposants, à éloigner les menaces judiciaires liées à l’opération “Lava Jato”, à retrouver une majorité au Congrès et à redresser la situation économique. Lula peut-il faire tout ça ? », s’interroge M. Melo. Aimé de 80 % des Brésiliens à l’issue de son dernier mandat, l’homme pourrait compromettre son aura. En apparaissant cynique et sur la défensive ces dernières semaines, il a déjà terni sa réputation d’homme d’État. Un homme qui a tiré de la misère plus de 25 millions de Brésiliens et qui fut adulé par la presse internationale.