[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
LA PRÉSIDENTE BRÉSILIENNE, DILMA ROUSSEFF. PHOTO ANDRESSA ANHOLETE |
L’économie s’effondre, la corruption gangrène son parti, la rue appelle à sa destitution, le Congrès l’empêche de gouverner, mais Dilma Rousseff, présidente du Brésil, réélue avec une courte majorité, fait front. Ni abattue, ni déprimée. Dans un entretien à cinq journaux étrangers, dont Le Monde, elle assure ne pas être impliquée dans le scandale de l’entreprise pétrolière Petrobras et de groupes du bâtiment et travaux publics (BTP), qui éclabousse les dirigeants politiques brésiliens.
Évoquant la procédure de destitution («impeachment») dont vous faites l’objet, vous parlez d’un «coup d’État». Est-ce approprié ?
En Amérique latine, nous avons vécu des coups d’État militaires. Nous vivons aujourd’hui dans un système démocratique, et les coups d’État ont changé de nature. Un coup d’État aujourd’hui correspond à la violation de la Constitution qui garantit les droits individuels, institutionnels, l’indépendance des pouvoirs et le respect des droits de l’homme. La loi est claire : pour qu’il y ait impeachment, il faut qu’il y ait un crime de responsabilité. La motivation de la procédure en cours est fragile : on me reproche le pédalage fiscal [recours à des emprunts auprès d’établissements publics pour financer des dépenses budgétaires qui seront portées au débit des comptes publics avec un décalage]. Un procédé que, jusqu’à mon premier mandat, tous les présidents ont utilisé.
Une procédure de destitution sans base légale constitue un coup d’État institutionnel. C’est dangereux. La population brésilienne manifeste. Je suis favorable aux manifestations. Je suis d’une génération où, quand on ouvrait la bouche, on allait en prison. Il faut écouter la rue, mais la clameur de la rue ne peut être utilisée pour contraindre des députés, des ministres. Ce ne sont pas des méthodes démocratiques. Ce sont des méthodes fascistes.
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
LA PRÉSIDENTE BRÉSILIENNE, DILMA ROUSSEFF. PHOTO JEFFERSON BERNARDES |
Si la procédure de destitution venait à aboutir, quelle serait votre réaction ?
Dans une démocratie, on se doit de réagir démocratiquement. Nous aurons donc recours à tous les instruments légaux en notre pouvoir pour mettre en évidence ce coup d’État. Si on ne répond pas à cette violation constitutionnelle, la vie politique brésilienne en gardera des cicatrices profondes. Nous devons réagir, répondre à l’ordre intimé par les manifestants «Nao vai ter golpe !» («il n’y aura pas de coup d’État»). Notre démocratie est née de luttes, de morts, de tortures, de tentatives, d’erreurs, de succès, nous ne devons pas l’affaiblir.
La nomination de l’ancien président Lula comme ministre de la « Casa Civil », sorte de premier ministre ou chef de cabinet, a été perçue comme une manœuvre visant à lui éviter la prison…
Tout est fait pour fragiliser mon gouvernement. La venue de Lula me renforcerait. Lula n’est pas seulement un habile négociateur, il connaît très bien les problèmes du Brésil. Il est sans l’ombre d’un doute le meilleur leader depuis Getulio Vargas. Nous avons travaillé ensemble, bâti une série de programmes sociaux, comme «Minha Casa Minha Vida» [«ma maison, ma vie» pour l’accès à la propriété]. Supposer que l’[ex]-président viendrait au gouvernement pour se protéger ne peut naître que dans l’esprit de quelqu’un qui cherche les problèmes.
Quelle protection étrange ! Un ministre n’échappe pas aux poursuites. Il dépend de la Cour suprême, que personne ne peut contester. La question n’est pas d’être jugé ou pas, mais par qui. Supposer que la Cour suprême est plus légère révèle une méconnaissance du droit pénal brésilien. L’affaire du «Mensalao» [scandale d’achat de voix au Congrès en 2005] a été jugée par la Cour suprême. Quoi qu’il advienne, Lula viendra m’épauler, si ce n’est en tant que ministre, ce sera en tant que conseiller.
Pourquoi ne pas s’en tenir à ce rôle ?
Lula n’a jamais cessé d’être mon conseiller. Je l’ai convié au gouvernement depuis le début de mon second mandat. Voyant la crise s’installer, il a fini par accepter.
Que répondre à ceux qui vous suggèrent de démissionner ?
Pourquoi démissionner ? Car je suis une femme fragile, ou pour éviter de m’obliger à partir pour de faux motifs ? On dit, «elle doit être épuisée». Ce n’est pas le cas. J’ai été emprisonnée trois ans [sous la dictature militaire]. La lutte pour la démocratie de mon pays me donne la force. Je ne suis pas déprimée. Je dors bien. Pour m’ôter le pouvoir, il faudra des preuves.
Convoquer Lula comme premier ministre, n’est-ce pas une forme de renoncement ?
Lula est mon partenaire. J’ai aidé Lula lorsqu’il était confronté à l’adversité. En 2005, j’ai été son ministre de la Casa Civil en pleine crise du «Mensalao». J’ai la certitude qu’il m’aidera aussi. En aucun cas il ne s’agit d’une démission, c’est l’union des forces.
Les scandales de corruption ont conduit à une défiance généralisée des politiques. Comment restaurer la confiance ?
Quand on commence à remettre en question les dirigeants politiques, surgit la quête d’un «sauveur de la patrie» qui peut mener à la tentation autoritaire. Le système brésilien tel qu’il est mènera régulièrement à des crises. Un gouvernement a besoin de trois partis, cinq au maximum. Au Brésil, il en faut une douzaine. Il faut conclure un pacte pour dessiner l’issue démocratique de cette crise. Nous pouvons modifier les choses, mêler le présidentialisme au parlementarisme, approfondir le présidentialisme… Mais ceci ne peut être fait sans un accord. Il faut un dialogue. Prendre son temps. Les conquêtes se font à cheval, gouverner se fait à pied.
Que dire de l’économie ?
Nous avons dû mener une cure d’austérité, non pas pour cesser les programmes sociaux mais pour les maintenir. Pour cela, il nous fallait des recettes supplémentaires. Mais il y a eu cette attitude démagogique consistant à bloquer les lois visant à obtenir des recettes supplémentaires. Il faut en finir avec ça. Nous avons les moyens de sortir de la crise cette année. Le mode de pensée de l’opposition qui consiste à dire «le pire pour le gouvernement sera le mieux pour nous» est pervers.
Craignez-vous une explosion sociale ?
Le Brésil n’est pas un pays en insurrection. Mais je déplore la montée de l’intolérance politique, la confrontation à laquelle se livrent les deux camps [opposant les défenseurs de l’impeachment aux défenseurs du PT]. Des amis, des familles se battent, ce n’est pas une bonne base pour la démocratie. A la veille des manifestations du 13 mars [réclamant l’«impeachment»], j’ai parlé à la télévision pour rappeler le droit de manifester, pas d’être violent. Je crois en l’esprit pacifique du peuple brésilien.
Des soupçons planent sur vos campagnes électorales. Avez-vous bénéficié de financements illégaux ?
Non. Toutes mes campagnes ont été approuvées par la Cour des comptes. Toutes. J’aimerais savoir où sont les financements illégaux. Joao Santana [publicitaire de sa campagne soupçonné dans le cadre de l’enquête Lava Jato] et sa femme n’ont rien à confesser à ce sujet.
En tant que ministre de l’énergie, vous étiez au conseil d’administration de Petrobras. Comment pouviez-vous ignorer le scandale ?
Il y a une différence entre directeur exécutif et conseil d’administration. Le conseil d’administration reçoit ses informations de directeurs exécutifs. Je n’étais pas seule membre du conseil d’administration. Nous étions un groupe. Aucun de nous n’a rien su de ce scandale.