jeudi 13 septembre 2018

FERNANDO HADDAD « JE NE SUIS QUE LE PORTE-PAROLE DE LULA »


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FERNANDO HADDAD « JE NE SUIS QUE LE PORTE-PAROLE DE LULA »
Les 7 et 28 octobre, le Brésil se choisit un nouveau président. Favori du peuple et des sondages, Luiz Inacio Lula da Silva est empêché de concourir par une décision de justice inique. Entretien avec Fernando Haddad, son colistier, qui de facto devient le candidat du Parti des travailleurs.
LE CANDIDAT DE LA GAUCHE BRÉSILIENNE,
FERNANDO HADDAD (CENTRE),
EN CAMPAGNE DANS LA FAVELA
DE LA ROCINHA À RIO DE JANEIRO,
LE 14 SEPTEMBRE 2018
PHOTO MAURO PIMENTEL
Dans tous ses déplacements, le candidat Fernando Haddad porte toujours un tee-shirt avec le visage de l’ancien président Lula. Dans ses discours, il n’omet jamais de parler d’abord de la situation de Lula avant la sienne. À 55 ans, ce fidèle de l’ex-président va relever le défi de gagner une nouvelle fois la présidence pour le Parti des travailleurs (PT), qui a dirigé le pays de 2003 à 2016. Le Tribunal supérieur électoral ayant invalidé la candidature de Lula le 31 août, c’est lui qui a été désigné comme son remplaçant.

FERNANDO HADDAD « JE NE SUIS QUE LE PORTE-PAROLE DE LULA »
PHOTO 
NELSON ALMEIDA

La tâche n’est pas simple car cet ancien maire de Sao Paulo (2013-2016) doit se faire connaître auprès de l’électorat national sans trahir la figure de Lula, emprisonné depuis avril. Et là encore, la rhétorique que devra adopter le parti doit être précise : la justice vient aussi d’interdire au PT de présenter Lula comme son candidat dans toute sa propagande électorale. La figure de l’ancien président ne pourra donc être invoquée que dans les discours de son ancien ministre de l’Éducation (2005-2012). Dans les trois semaines qui restent avant le premier tour de la présidentielle, Fernando Haddad doit donc se présenter comme le candidat du parti, tout en promettant une fidélité absolue à celui qui reste le favori de cette élection.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé pendant un déplacement à Salvador de Bahia, Fernando Haddad revient sans cesse sur le droit à Lula d’être l’unique candidat de la gauche. Une opinion partagée par de nombreux Brésiliens, mais aussi par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui, le 17 août, avait demandé au Brésil de « prendre toutes les mesures pour permettre à Lula d’exercer ses droits politiques depuis sa prison, comme candidat à l’élection présidentielle ».

En tant que candidat du Parti des travailleurs, Fernando Haddad aura comme partenaire, dans ce ­ticket, Manuela d’Avila, du Parti communiste brésilien (PCdoB), qui assumera la vice-présidence.

Vous avez le défi de faire exister Lula et vous-même dans cette campagne. Quelle est la stratégie que va suivre le Parti des travailleurs ?

Pour nous, c’est plus qu’une stratégie, c’est notre devoir de maintenir la candidature de Lula le plus longtemps possible face à tant d’injustices. Lula en plus a obtenu une recommandation du Comité des droits de l’homme de l’ONU. Ce comité avait demandé au Brésil de valider sa candidature et de faire respecter ses droits, comme n’importe quel candidat, même depuis la prison. Ce comité a pour mission de faire respecter le pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Congrès du Brésil a ratifié. Donc, au-delà de la stratégie, au-delà du calcul électoral, nous restons aux côtés de Lula dans ce moment difficile pour la confiance que nous avons en lui, pour le fait qu’il reste notre leader incontestable et pour l’appui populaire dont il dispose pour sa reconduction comme président. La stratégie est simplement de conduire un projet défendu et porté par Lula.

Quelles sont les difficultés que vous allez affronter ?

Notre principale difficulté est de faire respecter la loi. Lula a été condamné dans un procès sans que la justice fournisse les preuves de sa culpabilité. De nombreux juristes du monde entier ont déjà montré la fragilité de cette condamnation ; une condamnation dont l’objectif était de le retirer de la politique et nous voulons au contraire qu’il continue sa vie politique. Les difficultés sont très nombreuses mais, curieusement, le peuple les comprend et l’appui à sa candidature n’a fait qu’augmenter ces derniers mois. Le dernier sondage fin août, où il apparaissait encore comme candidat (avant la décision du Tribunal supérieur électoral invalidant sa candidature – NDLR), lui donnait encore 5 points de plus que dans le précédent. La majorité des candidats à la présidence n’ont même pas 5 % d’intentions de vote. C’est-à-dire que, malgré tout ce que les médias et la justice ont pu dire contre lui, le peuple lui réitère sa confiance et nous avec, bien sûr.

Mais c’est vous qui allez faire campagne dans la rue pour le PT, pour Lula. Comment allez-vous vous positionner ?

Moi, je ne suis que le porte-parole de l’ancien président. Car, dans la rue, ceux qui font campagne pour son retour, ce sont des millions de Brésiliens. Je suis le coordinateur de la campagne et, jusqu’à nouvel ordre, je ne suis que le candidat à la vice-présidence. Dans l’espace public, je suis la représentation de ses propositions, le temps qu’il est enfermé. Quand Lula a été incarcéré, il avait dit : « Ça ne sert à rien de m’enfermer, je suis une idée, je suis un projet. Je suis la figure la plus connue de ce projet, mais je ne suis pas tout seul. Vous pouvez m’emprisonner mais pas emprisonner ce que je représente. » Et c’est ce que les études d’opinion montrent justement. Lula est prisonnier, mais il reste le favori.

Est-ce que les électeurs de Lula s’identifient à vous ?

Je comprends que les électeurs de Lula s’identifient d’abord à Lula. C’est impossible de le dissocier et c’est très bien que cela soit ainsi. Ce que nous espérons, c’est que les électeurs de Lula s’identifient au projet politique porté par Lula et son parti, car cela donne beaucoup plus de force au projet. Personne n’est éternel. Lula est vivant et prêt à assumer la présidence, mais si l’on se projette dans dix ou vingt ans, nous souhaitons que le projet de la gauche gagne toujours plus de force. Lula a toujours rejeté cette personnification du pouvoir, il s’est toujours présenté comme le représentant des forces syndicales et sociales du pays. Et cela n’a pas changé.

Beaucoup d’électeurs de la gauche disent cependant : « Mon candidat est prisonnier donc je vais voter blanc. » Vous ne craignez pas cela ?

Oui, cela va arriver, c’est certain. C’est pour cela que nous devons avoir, pendant cette campagne, un débat riche d’idées politiques, pour justement remettre en avant ce qui nous caractérise et nous différencie des autres candidats. Mais c’est vrai qu’il existe un grand désarroi dans notre électorat, il est réel et c’est un défi. Lula étant prisonnier, cela décourage une partie considérable de la population.

Aux municipales de 2016, le PT a énormément perdu de voix. Vous avez vous-même perdu la mairie de Sao Paulo contre la droite. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

En 2016, le PT a perdu 60 % des voix qu’il avait obtenues en 2012. J’explique cette défaite par une forte campagne médiatique qui a fait que notre parti était vu, dans l’électorat, comme le responsable de la corruption. Les médias, en particulier la télévision, ont épargné les autres partis. Et cela a eu un effet très clair sur l’élection. Dans mon État (Sao Paulo – NDLR), le PT administrait 70 villes. En 2016, nous n’avons gagné que dans 7 villes. Mais cette conjoncture est terminée. D’abord, parce que la justice a enquêté sur d’autres partis et, ensuite, parce que le public a compris que le PT était une cible. La preuve est l’emprisonnement de Lula, à quelques mois de l’élection, qui est, je le répète, un emprisonnement politique.

Il existe une grande préoccupation dans le monde entier pour la démocratie brésilienne depuis la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016. Que peut faire le PT, si le parti gagne cette élection, pour réanimer cette démocratie ?

Tous nos gouvernements depuis 2003 ont été parfaitement démocratiques. Nous n’avons jamais eu de tentation autoritaire, Lula n’a jamais cherché à se représenter après ses deux mandatures, d’où il est sorti avec 80 % de bonnes opinions. Mais, en 2018, il peut se représenter. Ce que nous voulons faire, c’est redonner à la démocratie toute sa force, c’est le remède qu’il faut appliquer après un coup d’État parlementaire comme nous l’avons connu. Nous n’avons aucune perspective de revanche, ce que nous voulons, c’est remettre en avant un projet populaire souverain. C’est le projet du PT et des partis qui nous appuient.