dimanche 25 janvier 2015

ALEXIS TSIPRAS, LE MÉTÉORE

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Alexis Tsipras, dirigeant de la gauche radicale grecque. Alexis Tsipras auréolé de colombes. C’est ainsi qu’est apparu, en Grèce, le chef du parti de la gauche radicale, Syriza, sur Twitter. Ces oiseaux ont une histoire. Le militant laïc, dont les enfants ne sont pas baptisés, participait à la cérémonie de l’Epiphanie, le 6 janvier 2015, au Pirée. Un peu hésitant, ne connaissant pas vraiment les pratiques, il a lâché une colombe au moment où monseigneur Hyeronimos, l’archevêque d’Athènes, évoquait « le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ». Le groupe formait une curieuse Trinité : le chef de l’Église grecque, l’archevêque Seraphim du Pirée − qui n’hésite pas à manifester aux côtés des néonazis d’Aube dorée −, et le président de Syriza, favorable à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, sujet encore tabou en Grèce.


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CURIEUSE TRINITÉ : HYERONIMOS, L’ARCHEVÊQUE D’ATHÈNES,  LE CHEF DE L’ÉGLISE GRECQUE, L’ARCHEVÊQUE SERAPHIM DU PIRÉE  ET LE PRÉSIDENT DE SYRIZA.
Par Alain Salles (Athènes, envoyé spécial) et Adéa Guillot (Athènes, correspondance)

le palais Maximou, le siège du premier ministre grec, vaudrait-il une messe ? Les convictions de Syriza n’ont pas changé, mais une partie de ses nouveaux électeurs sont attachés à la religion et la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat passe désormais au second plan face à l’urgence sociale de la crise. Pour rassembler, il cherche à rassurer, quitte à modérer certains aspects de son programme.

Alexis Tsipras est désormais aux marches du palais. Dimanche 25 janvier, lors des élections législatives anticipées, son parti est arrivé en tête selon les estimations. Le vieux président, Carolos Papoulias, ancien résistant, devrait, lundi, proposer au jeune leader d’essayer de former un gouvernement. La complexe alchimie électorale grecque montrera si c’est possible, mais Alexis Tsipras aura déjà achevé, à 40 ans, un sidérant parcours.

Il est en somme le petit-fils de la dictature et l’enfant de l’austérité. Il n’a pas connu le régime des colonels, de 1967 à 1974, puisqu’il est né quelques jours après sa chute. L’effondrement de ce régime a profondément marqué la gauche, persécutée pendant ces années noires, comme après la guerre civile. L’ombre de cette époque planait encore quand Alexis Tsipras est entré en militantisme à la fin des années 1980, dans les rangs des Jeunesses communistes. La crise grecque et les ravages de l’austérité à partir de 2010 ont transformé un militant gauchiste en leader charismatique connu dans le monde entier, en passe de prendre le pouvoir en Grèce.

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PHOTO EIRINI VOURLOUMIS

« Il a tué le père »

Né dans une famille de petits entrepreneurs, Alexis Tsipras, diplômé en 2000 de l’école polytechnique d’Athènes, a travaillé quelques années comme ingénieur civil dans le bâtiment, mais il a surtout consacré sa vie à la politique. Il a d’abord émergé comme une figure des révoltes étudiantes pour prendre la tête des jeunes du Synaspismos, le parti qui va progressivement former Syriza, en regroupant plusieurs groupuscules de gauche et d’extrême gauche.

En 2006, ce jeune militant crée la surprise en raflant 10 % des voix aux élections municipales d’Athènes, après une campagne séduisante et spontanée. Le style Tsipras fait son apparition et marque le début de sa rapide ascension. En 2008, le chef de Syriza, Alekos Alavanos, prend du champ et désigne le jeune conseiller municipal de la capitale comme successeur. Il est plébiscité par les militants. « À l’époque, on l’avait choisi parce qu’il présentait bien. Qu’il parlait bien. Comme une coquille vide », dit, en riant un peu jaune, une membre du comité directeur de Syriza, critique avec la nouvelle ligne du parti.

Alavanos espère continuer à diriger le parti en sous-main, mais sa créature lui échappe et les deux hommes entrent en conflit en 2009. « Il a tué le père politique », constate le politologue Elias Nikolakopoulos. Syriza obtient un score de 4,6 % et 13 députés, lors des législatives de 2009.

En 2009… C’est-à-dire il y a presque un siècle, tant le visage de la Grèce a changé avec la crise. C’était l’époque où Georges Papandréou, le premier ministre socialiste, raflait 44 % des voix en expliquant qu’« il y avait de l’argent », avant d’annoncer au monde entier que la Grèce était en faillite et d’ouvrir la porte à la troïka des bailleurs de fonds (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et Commission européenne). Le temps s’est alors accéléré en Grèce. Papandréou a ainsi tenu deux ans. Et deux ans et demi après son arrivée au pouvoir, lors des législatives de juin 2012, le conservateur Antonis Samaras est à son tour en passe d’être supplanté par le météore Tsipras. « Il est un produit de la troïka », soupire Dora Bakoyannis, ex-ministre des affaires étrangères (Nouvelle Démocratie, droite).

« Résistance à l’austérité »

Personne ne connaissait vraiment Tsipras hors de Grèce avant la campagne électorale des législatives de 2012. « Il a énormément d’instinct politique. En 2012, il m’a donné une interview dans laquelle il disait qu’il était prêt à s’allier avec n’importe quel parti, car l’important est de gouverner, se souvient son ami le journaliste Stelios Kouloglou, qui a été candidat du parti aux européennes de 2014. Il a été critiqué en interne mais c’est après cela que le parti a décollé et qu’il a obtenu son score aux législatives. » Le journaliste s’enflamme : « Il est comme Maradona : il a pris une équipe plutôt moyenne et l’a portée au sommet. »

Après l’effondrement du parti socialiste (le Pasok), jugé principal responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le pays, Syriza devient le deuxième parti grec, avec près de 27 % des voix et 71 députés (sur 300). Alexis Tsipras change de dimension et incarne alors la voix européenne de la résistance à l’austérité imposée par la chancelière allemande, Angela Merkel. Il fascine autant qu’il inquiète. Les journaux du monde entier viennent voir ce « Mélenchon grec », qui supplante rapidement le modèle français. Il parle alors un anglais hésitant − il a depuis pris des cours − et son discours a du mal à dépasser une certaine langue de bois traversée par quelques formules efficaces. Il est souvent tendu dans ses relations avec la presse étrangère. Tellement dans la maîtrise − mais aussi fatigué d’enchaîner les interviews − qu’il en devient parfois raide. Dans cette courte campagne de janvier, il a limité le nombre d’entretiens et préféré envoyer des tribunes aux journaux étrangers.

Un fils nommé en hommage au Che

« Pour nous, c’est mieux d’écrire des articles qui sont publiés tels quels, car nous maîtrisons notre message. Avec une interview, le titre peut porter à l’opposé de ce que nous souhaitons dire et il y a des coupes qui peuvent dénaturer le propos », reconnaît candidement le service de presse du Syriza. « Ce n’est pas son caractère de tout contrôler, mais il a appris la méfiance, plaide le journaliste Stelios Kouloglou. C’est un homme calme qui écoute beaucoup, discute, accepte des opinions divergentes, ne monologue jamais. Je trouve qu’il résiste à la pression de manière exemplaire. » En privé, il est décrit comme chaleureux, plutôt jovial, mais il protège soigneusement sa vie de famille. Il a deux fils avec sa compagne rencontrée au lycée : Paul-Fivos et Orphée-Ernesto − en hommage à Che Guevara.

Sa désignation comme chef de file du parti de la gauche européenne aux élections européennes de mai 2014 lui permet d’accroître son aura internationale. Paris, Bruxelles, Rome ou Berlin, il sillonne alors le continent. Une foule compacte se précipite à chaque fois pour toucher « l’ami Alexis », lui glisser trois mots d’encouragement ou l’embrasser. Lors d’un déplacement à Palerme, en avril 2014, ce fan du Panathinaïkos, club omnisports d’Athènes, avouait être « reçu ainsi partout, comme une star du foot ». « Sa candidature à la présidence de la Commission lui a permis de faire tomber des peurs sur Syriza à l’étranger. C’est un pragmatique, quelqu’un qui sait évoluer, en voulant rassembler. Ce qui me frappe chez lui, c’est son sang-froid », analyse Pierre Laurent, président du Parti de la gauche européenne et secrétaire national du Parti communiste français.

« Les seigneurs de Koumoundourou »

« Il a beaucoup changé en deux ans. Il est plus responsable. Son mûrissement a été très rapide. Il a compris la nécessité d’alliances européennes, alors qu’en 2012 il ne s’adressait qu’aux Grecs », explique Elias Nikolakopoulos. Il a surtout mis son parti en ordre de bataille. Comme le souligne un fonctionnaire européen, « il a pris un groupuscule et en a fait un parti de gouvernement ». Il a notamment réussi à museler un courant minoritaire anti-euro qui représente environ 30 % du parti et à imposer une ligne officielle pro-euro. Cet aggiornamento a provoqué beaucoup de tiraillements et passe difficilement chez des cadres anciens. « Aujourd’hui, il place ses gens. Il est entouré d’une équipe qui se prend très au sérieux », regrette un membre du comité directeur. Alexis Tsipras s’appuie sur un groupe de conseillers jeunes quadras comme lui, à l’image de son directeur de cabinet Nikos Pappas. Ils sont devenus les seigneurs de « Koumoundourou », le nom donné au siège du parti situé sur la place du même nom dans un quartier populaire d’Athènes. Une véritable ruche ces dernières semaines.

Après la victoire aux élections européennes, où son parti est arrivé en tête avec 26,57 % des suffrages, il n’a pas voulu écouter les voix qui lui suggéraient «d’organiser un congrès pour nettoyer le parti de cette vieille garde très figée qui résiste même à l’idée de sortir de l’opposition », explique un proche. Pragmatique, il a fait le choix politique et tactique d’essayer de profiter du renouvellement du président de la République pour faire tomber le gouvernement. Il a considéré que « ce n’était pas le moment de montrer [les] divisions internes ». Au final, il a réussi son pari puisque la procédure d’élection d’un nouveau président de la République a échoué le 29 décembre 2014, précipitant la tenue d’élections législatives.

« Il a compris que la gauche radicale doit aujourd’hui mettre en place un programme plus social-démocrate. Celui qui, en Grèce, va réussir à ramasser les cendres du Pasok sera le principal acteur de la vie politique des vingt prochaines années», juge Stélios Kouloglou. Alexis Tsipras essaie de faire passer des messages rassurants auprès des autres capitales européennes et même des milieux d’affaires grecques. Un cauchemar pour les militants historiques! « C’est sûr que c’est avec lui que l’on arrive au pouvoir mais c’est grâce à nous tous. Et surtout, j’ai peur que l’on se coupe de notre base électorale en faisant trop de compromis », s’inquiète un membre du parti. « Moi j’ai peur que cette bombe des divisions internes ne lui explose à la figure une fois au gouvernement », redoute l’un de ses proches.

S’il devient premier ministre, les dissensions au sein de son parti ne seront pas son principal souci. Il devra à nouveau changer de dimension pour s’imposer à la table du Conseil européen où bon nombre de chefs d’Etat et de gouvernement ne semblent pas prêts à succomber au charme décontracté d’Alexis Tsipras.