lundi 11 juin 2018

AU CHILI, LA LUTTE CONTRE LA « CULTURE DE L’ABUS » A COMMENCÉ


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
PHOTO ALESSANDRA TARANTINO
Le pape François a accepté, lundi 11 juin, la démission de trois évêques chiliens dont le controversé Mgr Barros. Il reste 31 lettres de démission sur son bureau alors que, depuis un mois, les révélations pleuvent dans cette Église, montrant l'ampleur de ce qu’il a appelé une « culture de l'abus ».

Dans un texte lapidaire, la salle de presse du Saint-Siège a rendu publique la décision du pape d'accepter la démission de trois évêques chiliens sur les 34 lui ayant remis leur lettre de démission le 18 mai dernier. Mgr Cordero, du diocèse de Puerto Montt, Mgr Duarte, de Valpariso, et Mgr Barros, d'Osorno.

Nommé évêque en 1995, ce dernier est l’un des jeunes prêtres formés par Fernando Karadima, prêtre charismatique condamné en 2011 pour abus sexuels sur mineurs après avoir été accusés par plusieurs victimes depuis plus de vingt ans. Mgr Barros est resté proche de son « mentor » au point, disent des victimes, d’avoir été témoin de son comportement criminel. Il avait été défendu par le pape au moment de sa nomination comme évêque en 2015, malgré l'émoi suscité chez les catholiques chiliens, puis encore en janvier dernier – quand François a accusé journalistes et victimes de colporter des « calomnies » –, avant que François demande une enquête et change radicalement d’attitude. Reste à savoir si l'évêque de Rome ajoutera à cette décision un procès canonique.

Au Chili, en attendant la décision du pape, l’Église a ouvert ses dossiers et le travail de vérité commence à se faire au grand jour. Les sites de diocèse étalent, dans des communiqués, les noms des prêtres déjà condamnés et ceux en cours de jugement pour abus sexuels sur mineurs ; les congrégations religieuses s'essaient aussi à la transparence. Et se dessinent petit à petit les contours de cette « culture de l'abus » dénoncée fin mai par François dans une lettre aux Chiliens.

Dans le diocèse de Rancagua, situé au sud de la capitale Santiago, des prêtres accusés d'abus sexuels sur majeurs et sur mineurs se seraient constitués en un groupe se baptisant « la famille ». Lors d'un reportage diffusé à la télévision chilienne le 18 mai, les agissements de 13 à 17 prêtres ont ainsi été dévoilés. D’après un prêtre cité dans l'émission sous couvert d’anonymat, cette « confrérie » existerait depuis huit à dix ans. Majeurs, mineurs, « tout était bon, sans distinction », soutient-il. Le 22 mai, ces prêtres ayant « commis des actes qui peuvent constituer des crimes dans les domaines civil et canonique », selon un communiqué du diocèse, ont été suspendus et une plainte a été déposée auprès du Parquet régional pour l’ouverture d’une enquête. Problème : l'évêque de ce diocèse n'est autre que le président du Conseil national de prévention des abus sexuels et pour l'accompagnement des victimes, créé en 2011 par l’Église chilienne pour empêcher de tels abus. Alejandro Goic s'est excusé de ne pas avoir agi « avec la diligence appropriée » quand des informations lui sont parvenues et a démissionné de cette mission le 26 mai. Son remplaçant, Juan Ignacio González Errázuriz, 61 ans, évêque de San Bernardo, est l'un des évêques mis en cause depuis plusieurs années par les victimes de Fernando Karadima. Mgr Errázuriz a plusieurs fois par le passé critiqué ces victimes, affirmant que « leur demande de pardon » était « exagérée ».

Un prêtre en charge de recevoir des victimes de Fernando Karadima accusé d'agressions sur mineurs alors même qu'il recueillait ces témoignages. 

Dans l'archidiocèse de Santiago, on retrouve un même schéma de personne « controversée » dans le dispositif de lutte contre la pédophilie dans l’Église chilienne. Le père Óscar Muñoz Toledo, chancelier jusqu'au 2 janvier dernier, était en charge de recevoir les témoignages des victimes de Fernando Karadima. Or son départ, discret et sans explication il y a six mois, est en fait dû à sa mise en cause pour abus sexuels sur plusieurs de ses neveux alors qu'ils étaient mineurs… au moment même où il recueillait ces témoignages. Toujours à Santiago, le cardinal Ricardo Ezzati, président de la Conférence des évêques du Chili, a dévoilé le 21 mai que six prêtres de son diocèse avaient été jugés coupable d'abus sexuels.

Les congrégations religieuses ne sont pas en reste. Les Jésuites ont annoncé que l'enquête contre l'un de leurs prêtres venait d'être transmise à la Congrégation pour la doctrine de la foi, et que deux de leurs religieux ont vu leur ministère retiré ces dernières années à la suite de faits d'abus sexuels sur mineurs avérés. Les Maristes ont également dévoilé que de nouveaux témoignages leur sont parvenus à propos de prêtres déjà reconnus coupable par un tribunal canonique.

Quant à l'affirmation du pape dans sa lettre à l’Église chilienne, estimant que cette dernière a détruit des preuves et cachés des témoignages, elle devient de plus en plus claire : des rapports allant jusqu'en 2011 détaillent des abus sexuels, de pouvoir et spirituels au séminaire du diocèse de Valparaiso… sans que rien ne soit fait pour les enrayer.