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DEPUIS PLUSIEURS SEMAINES, DES MILLIERS DE CHILIENNES
SE MOBILISENT CONTRE LES VIOLENCES CONTRE
LES FEMMES ET L'ÉDUCATION SEXISTE.
PHOTO LUIS HIDALGO |
On ne les empêchera plus de parler. Ce bâillon sur leur bouche, c’est fini. Le patriarcat, la culture du viol, c’est fini. La détermination de ces deux regards, de ces jeunes femmes, dit tout de la rébellion qui secoue le Chili depuis plusieurs semaines.
Ce qui a commencé comme une révolte d’étudiantes contre le sexisme s’est transformé en une « nouvelle vague féministe » que personne n’avait vue venir. C’était le 17 avril. Des étudiantes de l’université Australe, dans le sud, et de la faculté de droit de l’Université du Chili, la plus ancienne et prestigieuse du pays, ont occupé les locaux pour protester contre la lenteur des mesures après des accusations de harcèlement sexuel de professeurs, et pour réclamer un « enseignement non sexiste ». En quelques semaines, une vingtaine d’autres universités sont occupées. Même l’Université catholique n’y réchappe pas.
Puis viennent les manifestations, massives. Le 11 mai, le 25 mai, les jeunes femmes défilent dans les rues de Santiago à l’appel du mouvement #niunamenos (« pas une [femme] de moins ») pour dénoncer les violences machistes. Le viol et le meurtre d’Ambar, une petite fille d’un an, et le viol d’une jeune fille par un groupe de supporteurs de foot à la sortie d’un match déclenchent une colère qui est loin d’être apaisée.
« Nous crierons plus fort que jamais ! »
C’est là, parmi cette foule de femmes qui crient leur rage de ne pas être suffisamment écoutées, suffisamment protégées (« On nous viole, on nous tue, et personne ne fait rien ! »), que le photographe de l’AFP Martin Bernetti croise cette chaîne de manifestantes qui se tiennent par la taille, vêtues de noir, des inscriptions sur leurs corps (« Moi, je te crois ! », disent-elles à leurs sœurs violées), une trace de main ensanglantée sur leur bouche fermée. « Ces deux-là étaient les seules qui avaient ce regard perdu, comme si elles s’étaient retrouvées elles-mêmes. »
LES ÉTUDIANTES DRESSENT LA LISTE DES PHRASES SEXISTES DE CERTAINS PROFESSEURS : « MADEMOISELLE, AVEC CE DÉCOLLETÉ, VOUS VENEZ PASSER UN EXAMEN OU VOUS FAIRE TRAIRE ? », « ALLEZ PLUTÔT FAIRE DU SHOPPING »…
Et la foule de reprendre en chœur : « No, es no, c’est quoi que tu ne comprends pas, le N ou le O ? » Douloureuse question martelée tout au long de l’histoire du féminisme mondial. « On nous a fait taire. Nous crierons plus fort que jamais ! », annoncent les banderoles. Ce n’est pas un hasard si cette révolution féministe est issue des universités. Trois ans plus tôt, des manifestations monstres des étudiants contre une réforme universitaire avaient secoué le pays. La capacité de mobilisation était là, latente. Le mouvement mondial #metoo a certainement été l’étincelle de plus, même si #niunamenos, né en Argentine en 2015, et qui a essaimé dans tous les pays d’Amérique latine, est antérieur.
Les étudiantes dressent la liste des phrases sexistes de certains professeurs : « Mademoiselle, avec ce décolleté, vous venez passer un examen ou vous faire traire ? », « Allez plutôt faire du shopping »… Elles réclament des protocoles d’action contre le harcèlement sexuel. Les médias s’emparent du sujet. « Comment avoir un enseignement non sexiste ? », s’interroge le quotidien La Tercera. On parle d’« agenda féministe ».
Un sondage montre que 70 % des Chiliens sont favorables à cette révolte. La classe politique ne peut y rester indifférente. Parlementaires, ministres, fonctionnaires, chacun y va de ses déclarations. Le président Sebastian Piñera (droite) promet une réforme de la Constitution pour y inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes. Des annonces en trompe-l’œil, dénoncent les féministes, qui appellent à de nouvelles mobilisations. Le photographe Martin Bernetti en est sûr : « C’était la première manifestation féministe que je couvrais. Ce ne sera certainement pas la dernière. »