mardi 19 mars 2019

À WASHINGTON, BOLSONARO VEUT SCELLER SON ALLIANCE AVEC L’ULTRA-CONSERVATISME


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JAIR BOLSONARO  
PHOTO UESLEI MARCELINO
Comme il l’envisage de le faire lors de sa rencontre avec Donald Trump à Washington, Bolsonaro se complaît à bousculer l’image mesurée de son pays en matière de diplomatie et renforce ses relations avec des alliés aussi peu modérés que lui.
Jair Bolsonaro ne ménage pas ses efforts pour détromper ceux qui pensaient qu’il ferait preuve de plus de modération une fois au pouvoir.

En tant que député, Bolsonaro faisait l’éloge du dictateur chilien Augusto Pinochet (1973-1990) ; président, Bolsonaro rend hommage au dictateur paraguayen Alfredo Stroessner (1954-1989) : rien n’a changé.

La radicalité marque de nombreux champs d’action du nouveau gouvernement, mais c’est en politique étrangère que le président montre son visage le plus cruel.

Contrevenant à la promesse qu’il avait faite de conduire les relations internationales du Brésil “sans a priori idéologique”, la diplomatie bolsonarienne se montre de plus en plus conservatrice et autoritaire.

C’est compréhensible : en matière de diplomatie, le locataire du palais du Planalto [où se situe la présidence de la République] dispose d’une large marge de manœuvre pour décider sans avoir à se soumettre aux contre-pouvoirs du Congrès ou du Tribunal suprême.

La diplomatie pragmatique et pacifiste disparaît

Au sein de ce nouveau gouvernement, Itamaraty [le ministère des Affaires étrangères] connaît de profondes transformations sous la houlette du ministre Ernesto Araújo – un homme qui a déclaré publiquement que le réchauffement climatique est un “complot marxiste” pour détruire la civilisation occidentale.

En sa qualité de meneur des olavistes du gouvernement [inspirés par Olavo de Carvalho, gourou d’extrême droite très écouté par Bolsonaro], le titulaire du ministère des Affaires étrangères envoie valser plusieurs décennies de traditions diplomatiques fondées sur l’indépendance, le pragmatisme et la résolution pacifique des conflits.

Dans son élan pour s’aligner sur la Maison-Blanche, Ernesto Araújo s’est fait le porte-voix des partisans d’une aventure interventionniste au Venezuela, au mépris des conséquences, imprévisibles, sur l’ordre régional. Cette position du ministre risque d’entraîner le Brésil dans une guerre contre un pays voisin – du jamais-vu depuis la guerre de la Triple-Alliance il y a un siècle et demi [1865-1870].

Le vent nouveau venu du palais d’Itamaraty ébranle les alliances internationales traditionnelles du Brésil. Dans un symbole fort, Bolsonaro a réservé ses premières visites à l’étranger, prévues dans les toutes prochaines semaines, à Donald Trump [le 19 mars] et à Benyamin Nétanyahou, et le Chili du président de droite Sebastián Piñera est aussi sur sa feuille de route.

Un goût prononcé pour l’extrémisme

Or les chefs d’État américain et israélien ont pris la tête d’une croisade, rejoints par le Brésil, contre l’Organisation des Nations unies et d’autres instances de la coopération internationale. Dans le nouvel ordre mondial qu’ils appellent de leurs vœux, le multilatéralisme et la défense des droits de l’homme ne sont pas des priorités.

Pourtant, si Bolsonaro était un porte-étendard sérieux de la lutte anticorruption, il prendrait ses distances avec des gens de cet acabit. Plusieurs alliés de Trump ont fini en prison pour des pratiques financières douteuses, et des soupçons de complot avec la Russie pèsent sur sa campagne électorale de 2016. Alors que des législatives sont prévues début avril en Israël, Nétanyahou lui-même risque une inculpation dans une affaire de fraude et de corruption.

Mais il y a plus grave que ces affaires, et c’est le racisme et les sympathies pour des groupes extrémistes que nourrissent ces partenaires internationaux chers à Bolsonaro.

Personne n’a oublié que Trump a instauré le principe de séparation des familles de migrants arrivant à la frontière, et permis ainsi que des enfants meurent derrière des barreaux. Rappelons aussi que le président américain avait estimé qu’il y avait “des gens très bien” parmi les participants à la manifestation violente convoquée par le Ku Klux Klan à Charlottesville en août 2017 [où une manifestante de gauche avait trouvé la mort].

Le Brésil bientôt bouffon de la diplomatie

Et Nétanyahou n’a rien à lui envier en matière d’antécédents : son gouvernement est responsable de la mort de centaines de civils palestiniens dans la bande de Gaza et d’actions qui, selon l’ONU, pourraient être qualifiées de crimes de guerre. Récemment, le Premier ministre israélien a ouvert sa coalition aux extrémistes du parti Otzma Yehudit (Force juive), ce qui lui a valu des critiques jusque dans les rangs de l’Aipac, le puissant lobby pro-israélien à Washington.

Le radicalisme de la politique extérieure de Bolsonaro va même plus loin que la diplomatie de Trump, relativement modérée par comparaison. Pendant ses premières années à Washington, le républicain a dû rétropédaler sur plusieurs initiatives diplomatiques des plus insensées après l’intervention de son secrétaire d’État Rex Tillerson et de son ministre de la Défense Jim Mattis – qui tous deux ont d’ailleurs fini par quitter le gouvernement.

Reste que la politique étrangère, rappelons-le, fait aussi partie de la politique publique, et qu’elle a sur la vie des citoyens des effets concrets, même s’ils ne sont pas toujours visibles à court terme. La politique étrangère du nouveau gouvernement menace de jeter le discrédit sur la diplomatie brésilienne et de saper l’image du Brésil dans le monde.

Tout récemment encore, le Brésil se positionnait comme une référence positive parmi les pays émergents, notamment en essayant de faire évoluer les organisations internationales. Tout n’était pas parfait, bien sûr, mais au moins l’ambition était-elle d’avoir sa place à la table des grands. Désormais, notre pays semble disposé à ne plus jouer d’autre rôle que celui du bouffon.